
Gazpacho
Night
Produit par Gazpacho
1- Dream of Stone / 2- Chequered Light Buildings / 3- Upside Down / 4- Valerie's Friend / 5- Massive Illusion


Si les premiers opus de Gazpacho misaient encore sur une certaine accessibilité et ne faisaient qu’esquisser le véritable potentiel progressif des Norvégiens, Night marque à coup sûr une rupture dans la démarche créative tout en constituant un point culminant au sein d’une discographie pour le moins exemplaire. Premier véritable concept album du combo, Night plonge l’auditeur dans plus de cinquante minutes d’une musique évocatrice et immersive, au fil d’une imposante fresque découpée en cinq mouvements, où s’entremêlent réflexion métaphysique sur l’existence et interrogation sur la frontière poreuse entre rêve et réalité. Un voyage où les atmosphères sombres et mélancoliques se frottent à des envolées d’une beauté saisissante, porté par de multiples changements de tonalité et un faux mid-tempo permanent qui brouille subtilement la perception du temps.
Les 17 minutes de "Dream of Stone" posent les fondations de ce spectacle d’abord opaque, puis de plus en plus lisible à mesure qu’il se déploie, à l’image d’un écosystème nocturne qui se dessine à mesure que notre vue s’adapte à son environnement. Les ambiances spectrales et les rythmiques lancinantes finissent ainsi par céder la place à la contemplation, puis à l’émerveillement. Le groupe prend le temps d’installer une atmosphère réellement prenante – à condition d’écouter l’album au calme et dans les bonnes dispositions – alternant entre passages éthérés et d’autres plus incisifs, à l’image d’une basse qui gagne peu à peu en prestance et quelques riffs de guitare forçant la saturation. Le refrain - qui réapparaîtra sous diverses formes à travers l’album, comme un écho familier - atteint quant à lui une rare intensité émotionnelle au fur et à mesure qu’il gagne en consistance, magnifié par des chœurs et divers effets de voix, parfois légèrement distordus, qui renforcent le caractère halluciné de l’ensemble.
Même si l’unité d’ensemble est de mise d’un bout à l’autre de l’album, chaque morceau affirme sa propre identité, tant dans les signatures rythmiques que les textures sonores. "Chequered Light Buildings" nous cueille à vif avec son approche plus intimiste et ses notes de piano subtilement déposées, avant de nous happer complètement lorsque s’élève le chant toujours aussi ensorcelant de J.H. Ohme. L’harmonie qui se tisse alors – avec ses sections d’orgue et de violon - confère au morceau une ampleur inattendue, jusqu’à lui donner une dimension quasi cinématographique. Avec "Upside Down" et son instrumentation délicate, les Norvégiens semblent littéralement touchés par la grâce. Un nouveau refrain, d’une élégance radieuse, ouvre la voie à un pont d’une beauté renversante, capable de convaincre même le mélomane le plus exigeant. À partir de là, il devient impossible de décrocher : "Valerie’s Friend" ajoute une couche supplémentaire d’intensité, avec une approche plus conquérante qui élargit encore le spectre émotionnel de l’album. Quant à "Massive Illusion", il nous accompagne jusqu’au terme du voyage, porté par une mélodie fédératrice et un chant à la dynamique gospel, pour un ultime soubresaut qui s’impose à l’esprit et résonne longtemps après ses dernières notes.
Le tour de force de Night tient aussi à ses compositions aux structures plus aérées, moins centrées sur le chant - lequel peut parfois se montrer envahissant en cherchant à combler le moindre interstice - et qui laissent ainsi le champ libre à de somptueuses sections instrumentales. Ce sont précisément ces instants suspendus, menés par le violon de Mikael Krømer - qui rejoint officiellement le groupe après plusieurs collaborations passées - qui offrent à l’album ses plus beaux moments, tout en lui insufflant une touche de folklore revigorante.
À la fois hermétique et familier, Night est un album qui dévoile de nouvelles richesses à chaque écoute, compensant son caractère un brin prétentieux par une sensibilité mélodique et une puissance évocatrice rares. S’il existe un débat au sein de la rédaction pour désigner le meilleur album des Norvégiens, un signe ne trompe pas : malgré une discographie irréprochable - jalonnée de petits chefs-d’œuvre comme Tick Tock, Molok ou Fireworker - on revient toujours à Night, comme attiré irrémédiablement par une lueur incandescente que même l’obscurité la plus profonde ne saurait atténuer.
A écouter : "Upside Down", si vraiment vous n’avez pas le temps d’écouter l’album en entier…






















