
The Wytches
Talking Machine
Produit par
1- Talking Machine / 2- Black Ice / 3- Coffin Nails / 4- Perform / 5- Factory / 6- Romance / 7- Is The World Too Old / 8- Nothing To See / 9- When The Obsession Began / 10- Don't Make It For Me / 11- Romance 2


Impossible de me cacher plus longtemps : ce qui n’était qu’une évidence est désormais une certitude. The Wytches n’ont pas tenu toutes les promesses que j’avais placées en eux. Mais qui pourrait bien me jeter la pierre, après ce que le quatuor avait laissé entrevoir avec son premier effort ? Souvenez-vous de Annabel Dream Reader, publié en 2014, où Kristian Bell et ses acolytes exorcisaient leur magie noire pour réveiller les fantômes de Bleach (Nirvana), en lui administrant une solide dose de potion psychédélique. Limpide, organique, la spontanéité et l’insouciance y étaient recrachées à l’état brut : une intensité que la formation britannique n’aura jamais su égaler par la suite.
La qualité de ce premier album exposait The Wytches à des projecteurs médiatiques et critiques unanimement élogieuses. Une exposition dans laquelle réside sans doute une part de l’explication du déclin du quatuor. Le maître "sorcyer" Kristian Bell, dont les longs cheveux masquent le visage à la fragilité charismatique, n’a jamais su supporter autant de lumières braquées sur lui et son groupe. Une position assumée, comme il l’a confié dans une interview donnée au magazine anglais Far Out.
“I used to think that because of the exposure, that this was having an influence on people, and I used to think really hard about it. If the music is so sad and depressing, is this gonna lead to something terrible with a fan?”
("À l’époque, je pensais que cette exposition allait influencer les gens, et j’y réfléchissais énormément. Si la musique est si triste et déprimante, cela pourrait-il conduire à quelque chose de terrible chez un fan ?")
Alors The Wytches radicalise sa musique sur son second album All Your Happy Life sur lequel Bell s'égosille jusqu'à la déraison pour que déguerpissent les critiques qui avaient porté aux nues Annabel Dream Reader. Le groupe, qui mettra ensuite près de quatre ans à publier sa troisième livrée, s’était comme dissous dans sa propre potion, le temps que les échos du premier enchantement se taisent enfin.
Terminons par la dernière incantation du quatuor, parue en 2023 : Our Guest Can’t Be Named. Un projet qui se rêvait ambitieux, spectral mais où l’atmosphère finit par étouffer la moindre étincelle de vie. Ici, le groupe erre dans un brouillard sonore où plus rien ne perce. Un album centré quelques morceaux qu’on devine conçus pour ériger les fondations d’une nouvelle ère. Mais ces tentatives, engluées dans leur propre gravité, creusent au contraire la tombe de ce disque morne et sans souffle. Une plantade de haut vol, de celles qui enterrent d’un seul geste les illusions qu’on entretenait encore. Un disque où The Wytches n’ont pas seulement raté leur sort mais sur lequel ils ont brisé leur baguette.
Arrive alors ce Talking Machine qui nous intéresse aujourd'hui. Inutile de laisser planer le moindre suspens, celui-ci s'avère toute à la fois moins égaré et plus lucide que son prédécesseur. Pour autant, l’écoute de ce nouvel album se traverse avec le sentiment d’un groupe qui évolue à tâtons, s’ouvrant à différents styles sans jamais s’y abandonner pleinement. Cette écoute, qui navigue entre différentes facettes, donne le sentiment que The Wytches interrogent leur auditoire en lui tendant le menu de leurs aptitudes de composition.
Leur profil le plus pertinent, les Anglais le dévoilent dans ce qui pourrait être présenté comme la section "classique" de l’album, avec la trilogie chargée de lancer le disque. Clairement, le quatuor ne réinvente rien en replongeant l’auditeur dans les aspirations partagées, il y a déjà onze ans, avec leur premier album. Mais qu’est-ce que cette formule reste efficace ! Du son terrifiant du riff conclusif de "Talking Machine", au tranchant de la ligne de basse de "Coffin Nails", jusqu’au délice des émulations punk horrifiques de "Black Ice". Rien de neuf, certes, mais du Wytches comme on aimerait en avaler jour et nuit.
On l'a dit, avec Talking Machine, le groupe ne s'est (hélas) pas contenté de partager un album issu du seul recours nostalgique. Les Britanniques nous emmènent ensuite vers des morceaux bien moins inspirés, comme "Perform" et "Factory", où transparaît cette volonté de composer des titres écrasants, pesants, supposés impressionner par leur lenteur. Mais le résultat s’étire plus qu’il ne s’impose. Sur "Factory", la section rythmique s’enlise dans une lourdeur presque mécanique, laissant les guitares tourner à vide, incapables de trouver une tension ou un véritable point de rupture. Quant à "Perform", elle trahit la même intention d’instaurer un climat oppressant qui ne trouvera du relief que sa dernière minute intégralement instrumentale.
S’il fallait trouver un parti pris dans l’orientation de Talking Machine, il résiderait dans sa mélancolie diffuse, distillée à travers les nombreuses ballades qui le composent, véritables respirations sonores. Certaines se font touchantes, à l’image du fragile "Is The World Too Old", tandis que d’autres sombrent dans un pathos pesant, comme "Don’t Make It For Me", et plus encore l’interminable ballade au piano "Romance 2", qui clôt l’album sur une note plaintive, presque exténuée. Il reste malgré tout quelques bonnes idées, à commencer par "When the Obsession Began", aux allures de ballade épique, qui aurait sans doute formé une bien plus belle conclusion pour ce cinquième album. Et surtout "Nothing to See", dans un registre pop psychédélique à la fois novateur et franchement intéressant, porté par la magnifique mélodie partagée par Kristian Bell.
En définitive, Talking Machine donne l’image d’un groupe qui se cherche à nouveau. L’album oscille entre réussites et maladresses, alternant éclats stylistiques inspirés de Annabel Dream Reader et expérimentations lourdes ou inabouties. The Wytches ne sont plus ce qu’ils étaient à leurs débuts : le souffle des promesses juvéniles s’est éteint, et le groupe peine à se réinventer. Pourtant, ici ou là, quelques instants de grâce subsistent : des idées, des mélodies, des directions sonores qui suggèrent encore des pistes intéressantes. On sera curieux de voir où elles mèneront le quatuor, mais sans plus d’attente que celle que l’on réserve à une énigme incomplète : fascinante par moments, mais toujours insaisissable.
A écouter : "Black Ice" ; "Nothing To See"