
Florence and the Machine
Everybody Scream
Produit par Florence Welch, James Ellis Ford, Aaron Dessner & Mark Bowen


Fuck It !
Everybody Scream est un album de femme.
C’est aussi un gros coup de pied dans le bête gros cul de tous ces masculinistes bornés, brutaux et imbéciles qui empuantissent l’atmosphère du monde et polluent les échanges sur les réseaux sociaux.
Je me suis dit : "Fuck It ! Pourquoi ne pas essayer une musique d'hommes ?"
Que l’Amour soit ! Que l’Amour soit lumière !
Qu’il y ait un jour paisible puis une nuit douce !
Laissez-moi sortir un disque sans que cela ne ruine ma vie
Retourner au seul amour que j’aie jamais pu contrôler… (1)
Un album de Florence Leontine Mary Welch, donc.
Femme, je vous aime ! Surtout quand vous militez. Voilà, c’est dit.
Et ce n’est pas par souci de pasticher une chansonnette.
Je le pense vraiment.
Wir funktionieren Automatik...
Peut-on écrire que Florence Welch est née de la Machine ?
Évidemment, puisqu’elle a été révélée par Isabella Summers, la baby sitter de sa plus jeune sœur, qui se trouvait être disc-jockey féministe et sorcière hallucinée des sons synthétiques.
Isabella Machine Summers. Elle est épatée par la voix de Florence qui vocalise à longueur de journée pour masquer ses misères. Florence souffre de dysmétrie et de dyslexie. Sa timidité ne s’efface que lorsqu’elle chante de sa voix puissante et ample d’enfant de chorale qui tient à se faire entendre.
Alors, il y a Florence et Isabella.
Pour son premier concert, le duo s’affiche sous le nom (mi-blague à Toto, mi-sérieux), de Florence Robot & Isabella Machine. Trop long. Il y aura Florence Robot Is A Machine (ou Isa Machine). Puis Florence + The Machine. Et encore Florence And The Machine.
Ça, c’est la petite histoire du rock. Cinq albums en studio (et une tripotée d’awards) plus tard, Florence revient avec sa Machine et un album exceptionnel.
Un album de femme. Une femme entre Patti, Debbie, Björk, Kate (son idole d’enfance), P.J., Alanis ou, en des temps plus anciens, Nina ou encore Big Mama.
Une femme hallucinée, possédée, militante et inspirée qui joue sur les contrastes de sa condition, entre séduction et menace, abandon et violence, phobies et (rares) certitudes, élégance et vulgarité.
Après avoir longtemps noyé ses contradictions dans l’alcool (au risque de décrocher une carte de membre dans le Club des 27), Florence compte aujourd’hui neuf années de sobriété (2).
Mais elle restera à jamais saoule de mots et de mélodies.
Saoule et merveilleusement saoulante.
Tout le monde hurle !
Florence puise son inspiration dans ses pires douleurs intimes. Il y a gros à parier que la plage titulaire lui a été inspirée par la grossesse extra-utérine qui aurait pu lui coûter la peau en 2023.
Florence puise également son inspiration dans les incunables (3), le folklore, le paganisme, les cauchemars et les rêves, la vie et la mort, les souvenirs sinistres et les moments joyeux, le bruit et le silence.
Sans fard, sans autres froufrous que ceux qu’elle étale avec une indécence assumée (4) sur la pochette de son album, Florence propose une vision brutaliste de la (sa) condition féminine :
J'ai fait de mon mieux
J'ai essayé d'impressionner
D’incarner tous mes rêves d’enfant
Avec mes robes et ma glorieuse tristesse
Si typiques d’une femme qui tire profit de sa folie
Je n’étais belle que sous les projecteurs
Je n’étais puissante que sur scène
Et je me retrouve détruite à trente-six ans (5)
Tous les textes, redoutablement écrits, sont de cet acabit. Et Florence les chante parfois avec une emphase terriblement théâtrale, parfois avec la douceur complice de son héroïne Kate Bush, ou, parfois, avec la violence et la militance qui animaient la Patti Smith suffragette de Horses.
Sorti, non sans ironie, le jour d’Halloween, Everybody Scream est une ode au cri, qu’il soit de joie ou de terreur. Au cri primal. Le premier qui passe par la tête. Si tu hurles, c’est qu’il y a de la vie en toi.
Everybody Scream !
Avec ses chœurs de sorcières possédées et en furie, sa rythmique endiablée et ses airs de ritournelle immédiatement mémorisable, la sublimissime plage titulaire (6) est une accroche vaguement "trompeuse", en ce sens que les onze autres titres de Everybody Scream sont beaucoup plus sombres et introspectifs.
A l’extrême rigueur, l’album vaudrait déjà par son seul trio conclusif (7), composé de l’acoustique "Music By Men" (déjà cité), du contrasté "You Can Have It All" et de "And Love", une étrange berceuse ambiguë qui permet de retrouver un semblant de paix intérieure (le refrain répète "Peace Is Coming" à l’envi) après une impressionnante débauche d’émotions en sens divers.
Je peux évidemment afficher quelques vagues réticences (8) au sujet de certains sons de claviers que je juge trop synthétiques pour mes oreilles (en particulier sur "Sympathy Magic"). Mais je ne peux qu’adhérer aux délires et aux vérités de cette femme magnifique qui n’hésite pas à ironiser sur son propre physique qu’elle compare à celui de l’affreux Kraken, le monstre légendaire qui hante les mers froides du Nord.
Parfois, mon corps m'est tellement étranger
Que je le calme en regardant la télévision
Je deviens vite agitée et affamée
Tandis que l’eau monte autour de moi
Tu apparais alors à l’écran
Tellement beau que c’en est obscène
Je mets mon poing en bouche et je hurle
On dirait que certains souvenirs me rattrapent
Et alors que l’eau me submerge le menton
Je me fais pousser plein de bras et de jambes
Et je me mets à chanter (9)
Voir Florence et mourir
Le lien facile entre cet album et le syndrome de Stendhal était trop évident pour ne pas être souligné en conclusion de la chronique.
Il est évident que l’on ne peut pas sortir intact de l’écoute attentive d’une œuvre de cette densité qui joue avec malice entre pudeur et impudeur.
Mais le voyage en vaut la peine, pour autant que l’on ne craigne pas trop les écorchures de la vie, les saignements de l’existence et les misères quotidiennes de la condition humaine.
Et si ça fait mal, criez un bon coup !
All Shall Be Well !
And All Shall Be Welch !
(1) "Music By Men"
(2) Je n’en compte que trois mais je partage son enthousiasme pour cette sobriété retrouvée (dont Florence se moque joyeusement dans "Drink Deep").
(3) Elle cite volontiers Julienne de Norwich, ermite au XIVème siècle, la première écrivaine britannique à être documentée. Julienne a écrit ses plus belles lignes pour narrer ses douze visions du Christ agonisant puis ressuscité. Tout un symbole pour une alcoolique repentie...
(4) Les complétistes de l’art de la séduction y retrouveront une amusante (et probablement involontaire) allusion à la culotte des dames, dites de petite vertu, qui hantaient jadis les ports marchands. Le vêtement, fendu à l’entrejambe, était délicatement surnommé "Vas-y Marin"… A ceci près que le regard déterminé de Florence sur la photo intérieure de l’album signifie "Si tu approches, je t’en colle une !" plutôt que "Bienvenue sur la terre ferme, gentil matelot !".
(5) "One Of the Greats"
(6) "Everybody Scream" restera un des immenses singles rock de 2025. Et son clip, définitivement génial, est remarquablement interprété.
(7) In Coda Venenum ? (jeu de mot idiot strictement réservé aux latinistes et autres encyclopédistes musicaux).
(8) Probablement imputables à mon extrême incompétence dans le domaine.
(9) "Kraken"
Cette chronique AlbumRock, labellisée "IA Free", a été tapée, mot après mot, par deux vraies vieilles mains humaines sur un clavier en plastique fabriqué à vil prix en Chine.
Je remercie sincèrement la femme qui partage ma vie et qui perd un temps fou à m’apprendre les rudiments du féminisme, cette discipline humaine pratiquée par la moitié de l’humanité.
Je remercie également et avec autant de sincérité les femmes de la rédaction d'Albumrock qui pratiquent souvent l'art subtil de recadrer leurs "confrères" quand ils racontent (involontairement, bien entendu) des bêtises sur les filles.


















