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La Femme
Mystère
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1- Sphynx / 2- Le vide est ton nouveau prénom / 3- Où va le monde / 4- Septembre / 5- Tatiana / 6- Conversations nocturnes / 7- SSD / 8- Exorciseur / 9- Elle ne t'aime pas / 10- Mycose / 11- Tueur de fleurs / 12- Al Warda / 13- Psyzook / 14- Le chemin / 15- Vagues / 16- Always in the sun

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Par où commencer une chronique de la Femme ? Avant de nous risquer à cet exercice périlleux, un rappel des faits s’impose. La Femme est un groupe fondé par deux copains de lycée à Biarritz, Sacha Got et Marlon Magnée (preuve est donc faite qu’on peut s’appeler Marlon et quand même réussir quelque chose de sa vie. Oui, c’était gratuit). Puis ils ont recruté Sam Lefvrère, Noé Delmas, Clémence Quélennec et Lucas Nunez Ritter (sans oublier les chanteuses invitées sur certains tires). Ne me demandez pas qui fait quoi, ça serait déjà supposer qu’il y a un minimum d’ordre dans ce groupe bordélique à souhait.
La venue de leur premier album, Psycho Tropical Berlin, en 2013, avait réjoui la critique, y compris Albumrock. Avec la parution de Mystère, le moins qu’on puisse dire, c’est que la Femme continue de ne pas laisser indifférent (ceci dit, avec une telle pochette...). C’est le moment d’endosser les habits d'un Finkielkraut du rock et d’entamer les débats: la Femme, le futur du rock français?
D’un côté, les journalistes de la presse musicale (les Inrocks, pour ne pas les citer) sont toujours prêts à hurler au génie là où le quidam ne voit qu’un brouillon incompréhensible et ils ont une fâcheuse tendance à annoncer des groupes improbables comme les futurs grands du rock français.
De l’autre, les tenants d’un rock anglophones et viril, qui fait rugir les guitares, sont accompagnés des sceptiques que le foutoir de la Femme agace prodigieusement.
Entre les deux, tentons de débroussailler cet album pour tenter de retrouver un peu d’objectivité (Oui, “Antitaxi”, c’était drôle, mais cette fois, un peu de sévérité).
En fait, avec la Femme, il ne faut surtout pas chercher à comprendre. Dans le premier album, il y avait tellement d’influences différentes (surf pop, yéyé, rockabilly, cold wave, dada, rock, électro) qu’il a fallu arrêter de le faire rentrer dans une case. Cette pensée libre de toute école (Finkielkraut, je vous dis) va devenir encore plus nécessaire avec Mystère. La Femme va à rebours du processus intellectuel auquel on se livre habituellement quand on écoute un album (autrement dit, ils compliquent sacrément la tâche aux chroniqueurs). Il faut accepter de lâcher prise, de ne pas comprendre les paroles et de se laisser porter.
Musicalement, l’album porte la patte inimitable du groupe en s’inscrivant de façon très nette dans la continuité de Psycho Tropical Berlin. On y retrouve en effet de la reverb (le solo de “Où va le Monde?”), des synthés (“Mycose”, “Vagues” qui fait un clin d’oeil à “Amour dans le Motus”), une batterie nerveuse (“Tatiana”, épilogue de “Sur la Planche 2013”).
La Femme a toutefois mûri. “Sphynx” devient une porte d’entrée psychédélique grâce à laquelle on pénètre dans l’album comme dans un trip (“Danser sous acide/et se sentir comme une plume qui vole/qui vole au gré du vent” sont les premières paroles du disque). La retenue de “Le Vide est ton Nouveau Prénom”, posée sur un arrangement folk dépouillé, est nouvelle: avant, les histoires d’amour qui se finissaient mal se soldaient dans des chansons revanchardes (“Nous étions Deux” sur Psycho Tropical Berlin). Écoutez donc la richesse d’”Exorciseur”: on entend des scratch trip-hop hérités de Morcheeba, un chant féminin à la limite du rap et une voix masculine qui endosse le chant éthéré habituellement réservé aux chanteuses. Le titre délicat “Al Warda” mêle deux chants féminins, l’un en français et l’autre en arabe pour un hommage réussi à la musique orientale (“Ah ça c’est bien un truc de bobo abonné aux Inrocks”, grommelle votre Finkielkraut intérieur). Et le rock dans tout ça? L'album est porté par une énergie qui électrise chacune des pistes et qui donne furieusement envie de danser. On détecte toujours la patte inimitable des solos plein de reverb sur “Mycose” et “Où va le Monde". Mais si vous cherchez des riffs et une batterie puissante, passez votre chemin.
La musique de la Femme a évolué mais les paroles mêlent toujours esprit data et réalité crue. Qui d’autres que la Femme pour écrire une chanson sur les désagréments vaginaux (“Mycose”)? On ne sait plus si c’est du premier ou du cinquantième degré, mieux vaut cesser d’y trouver du sens. La musique se charge de vous transporter.
L’album relate des instantanés: les rencontres survoltées en boîte de nuit (“Tatiana” évoque la drogue et la sexualité frontalement), la quête d'amour ("Elle ne t'aime pas"), la rentrée des classes avec la nostalgie qu’elle soulève (“Septembre”) et la jeunesse paumée qui se cherche (“SSD”). Marlon et Sacha ont dit en interview que leur musique avait un message mais que celui-ci n’était pas politique. Force est de reconnaître que la Femme est un groupe de jeunes qui se posent des questions sur le sens qu’ils veulent donner à leur vie… Comme, finalement, tous les jeunes adultes. Le message le plus profond est caché au sein de la chanson la plus naïve en apparence (un paradoxe typique de la Femme): "Allez réveille-toi/Montre-leur que personne ne choisira pour toi/La place que tu occuperas dans cette société".
Tout cela n’empêche pas l’album d’être trop long, conformément à la crainte de l'auditeur lorsque le disque comporte plus d’une douzaine de chansons. Quinze titres plus deux bonus tracks: c’est généreux, c’est surtout trop. Toute la fin de l’album pêche par trop de psychédélisme expérimental (“Psyzook”, “Le Chemin”, “Vagues”, “Tueur de Fleurs”). Mais avec cette chronique d’une génération en quête de repère, la Femme réussit à dépasser ses influences et à dessiner les contours de son identité musicale. Avec objectivité, on peut donc conclure que Mystère est un second album très réussi. Et tant pis si ce n'est pas du rock au sens traditionnel.
Pour commencer: "Où va le Monde", "September" et "l'Exorciseur"
