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Kansas
Song for America
Produit par Wally Gold
1- Down the Road / 2- Song for America / 3- Lamplight Symphony / 4- Lonely Street / 5- The Devil Game / 6- Incomudro - Hymn to the Atman

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Rappelons ce paradoxe de l’histoire du rock progressif : alors que le public américain était particulièrement réceptif à ce genre musical - les tournées des formations progressives anglaises étaient très longues et très suivies -, la scène locale fut réduite et apparut tardivement. Le paradoxe est d’autant plus étrange qu’en plus de cette demande bien présente, les soubassements esthétiques nécessaires pour permettre l’émergence d’une scène progressive existaient aux États-Unis – rock triomphant, jazz-rock, rock psychédélique, artistes expérimentaux comme Zappa …
Cependant, les groupes américains furent peu nombreux au début de la décennie et bien souvent obscurs, à l’exception peut-être de Styx. Ce démarrage tardif n’a pas empêché les États-Unis de briller dans un second temps, soit la période qui s’ouvre après 1974, souvent considérée comme moins faste à l’échelle du genre. Or, c’est justement à ce moment que le pays commence à se démarquer, avec 1975 comme date charnière, qui voit paraître les premiers albums de Pavlov’s Dog, Crack the Sky, Journey, Dixie Dregs, Fireballet. Parallèlement, Styx opère un tournant qualitatif d’ampleur et Kansas devient la référence ultime du rock progressif américain en sortant deux albums cette même année, Song for America puis Masque.
Actif depuis le début des 1970’s et implanté dans la région le plus enthousiaste des Etats-Unis pour ce genre de musique (le Midwest, bien que le Kansas rural soit périphérique), Kansas développe une musique à l’identité marquée, loin de ses homologues qui imitent la perfide Albion (Starcastle en tête). En effet, le violon y est roi, le hard-rock demeure l’ossature de son esthétique, et il n’hésite pas à travailler les mélodies pour qu’elles rencontrent un large public : c’est peut-être là que se trouve l’originalité esthétique du prog’ étatsunien, soit un Prog’ for America.
En guise de manifeste, "Song for America" offre un nouvel hymne à la gloire du Nouveau Monde, une pièce bien plus apaisée que ne l’est le pygargue metallique aux serres acérées en couverture. La longue introduction est solennelle, renforcée du violon et des claviers aux sonorités typiquement US, et les dix minutes du titre dévoilent une perle du rock progressif symphonique très bien structurée, qui parvient à associer la complexité du genre aux mélodies prenantes (au chant notamment). C’est ce titre qui permit à Kansas d’étendre sa popularité grâce à la forte diffusion de sa version single, forcément très raccourcie afin de convenir au format radiophonique.
Preuve de l’évolution du groupe depuis son précédent essai, Song for America comporte deux autres compositions étendues. "Lamplight Symphony" s’apparente d’abord à un slow puis prend petit-à-petit de l’ampleur jusqu’à un pont plus dynamique (le meilleur passage du morceau) et à une dernière partie apaisée. Enfin, "Incomudro - Hymn to the Atman", le plus long titre de l’histoire du groupe, est hésitant : parfois jazzy, parfois AOR, parfois symphoniques, son architecture globale manque parfois d’articulation et d’aspérités auxquelles s’accrocher.
Kansas conserve sa face plus immédiate avec d’abord "Down the Road" un boogie heavy, plus hard-rock (il y a même du Deep Purple lors du solo de guitare) que progressif, même si le violon virtuose et les multiples variations en font une composition plus complexe qu’il n’y paraît. "The Devil Game" est particulièrement efficace et incisif, avec des développements instrumentaux puissants et une belle accélération lors du solo ; "Lonely Street" est un très bon mid-tempo à forte saturation qu’aurait pu proposer Bad Company (le chant évoque légèrement Rodgers).
Le chemin parcouru entre Kansas et Song for America est évidente : le groupe propose des compositions plus travaillées, plus ambitieuses, et affine son identité sonore qui trouve ici un premier aboutissement. Mais la marge de progression était encore importante, comme en témoigneront les albums suivants.
À écouter : "Song for America", "Lamplight Symphony", "Lonely Street"