Ange
Le cimetière des arlequins
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1- Ces gens là / 2- Aujourd'hui c'est la Fête chez l'Apprenti-Sorcier / 3- Bivouac - 1ère partie / 4- L'Espionne Lesbienne / 5- Bivouac Final / 6- De Temps en Temps / 7- La Route aux Cyprès / 8- Le Cimetière des Arlequins
Quand on s’intéresse au rock progressif français, deux formations viennent immédiatement à l’esprit. La première est Magma, dont la musique torturée – Zeuhl – connait un retour en grâce, et Ange, dans un registre totalement différent prouvant la variété du genre. La formation belfortaine est menée par les frères Décamps qui ont fait fusionner leurs deux groupes (Les Anges et Evolution) à la fin des années 1960. Leur activité est rapidement foisonnante et inspirée bien qu’il manque d’archives pour les premiers temps d’Ange, ce qui permet une consécration au Golf Drouot en 1970, haut-lieu du rock français dans ces années fastes.
C’est ainsi que, surfant sur leur succès, ils avaient mis au monde un premier album en 1972, Caricatures, déjà plein de promesses aussi bien au niveau musical (des soli de clavier et de guitare de bon aloi) qu’au niveau de l’interprétation du chanteur, Christian Décamps. Cette figure incontournable de la scène française a imposé un style reconnaissable entre tous : écriture raffinée mais volontiers grivoise, chant théâtral inspiré par la chanson francophone, univers fantaisiste. Le tout bien sûr en langue vernaculaire, qualité que l’hexagone partage avec l’Italie.
Le Cimetière des Arlequins fait donc suite à ce premier opus de qualité, et est enregistré dans un autre lieu incontournable du genre qui nous intéresse : le château d’Hérouville où sont passés Magma et Jethro Tull par exemple. La magnifique pochette – dont l’auteur est connu des fans d’Eloy – invite l’auditeur à un voyage onirique qu’il convient d’accomplir.
Celui-ci passe par les sentiers médiévaux, leitmotiv musical et textuel du groupe. Cela passe par la flûte ("L’espionne lesbienne") ou une esthétique typée Moyen-Age (l’introduction de "Aujourd’hui c’est la fête chez l’apprenti sorcier"). On remonte vers la Renaissance puisque l’écriture jubilatoire ramène à Rabelais, figure tutélaire du rock progressif (Gentle Giant), entre le scabreux ("j’éjacule une dose") et le désuet ("vilebrequins"). On finit au XXème siècle avec un hommage à Brel, version aussi réussie qu’elle est modeste (le dernier couplet est volontairement absent) : le retrait de Frida est compensé par un magnifique solo.
La musique est variée, empruntant notamment au registre de la ballade ("L’espionne Lesbienne", "De temps en temps" …), ce qui produit de bons morceaux mais un peu plus faibles, notamment sur la seconde face. Il faut néanmoins mettre de côté le final en apothéose, le titre éponyme qui constitue la fresque progressive de l’album, bien mieux composée que "Caricatures", mêlant poésie et puissance dans un accomplissement des pistes d’écriture déjà préfigurée dans le premier opus. Brézovar à la guitare est d’ailleurs très précis et habile sur cet album.
Reste un défaut que la version cd n’a pas réparé, le mixage de la voix : cette-dernière est quasi étouffée ce qui est un comble étant donnée l’importance de son rôle. Cela n’enlève pas à l’exceptionnalité de l’album, amenant Ange sur les routes des grandes salles et de l’Angleterre (Reading).