REVOLUTION 1.1
Nous avions lancé 2010 dans ces colonnes sur un constat (une décennie s’ouvrant sur un immense chantier, que ce soit sur le plan du renouveau des artistes et des genres que du nouveau visage que prendra l’industrie musicale) et une interrogation (que nous réservent ces 10 nouvelles années ?). 12 mois plus tard, le moins que l’on puisse dire est que l’on n’a pas avancé d’un iota sur la question. On reste en plein flou artistique. Les palmarès rédacteurs et lecteurs est à ce titre emblématique, puisqu’à l’exception notable de The Bewitched Hands (seul groupe français présent dans nos charts), aucun premier album ne squatte nos tops en ce début 2011. Grande place est donc laissée aux artistes confirmant leur coup d’éclat séminal sur leur deuxième disque (MGMT, Foals, Blood Red Shoes, Crystal Castles…) et surtout à ceux qui ont fait leurs preuves durant toute la décennie, et qui s’accaparent les cimes de nos palmarès pour un règne sans partage. Le message est clair : 2010 se résume à du sûr, de l’éprouvé. Et pas un pli qui dépasse.
Les premières places restent éloquentes : il aura fallu six albums aux Black Keys pour se hisser vers les sommets. La mue pop de leur dernier opus se révèle payante, de statut de White Stripes wannabes, les compères d’Akron sont progressivement passés à celui de groupe de premier plan. On ne peut qu’applaudir cette reconnaissance obtenue sans tricher, à la seule force de la sueur et du talent (et certainement d’une batterie de clips rigolos). Même impression de sérénité du côté d’Arcade Fire, dont l’intérêt public ne se dément pas, malgré la fin des grosses machineries de Neon Bible laissant place à un The Suburbs jouant la carte de la force tranquille. Les Canadiens seraient-ils sur le point de ravir le titre de formation indie ultime à un Radiohead pantouflard ? Voici l’un des plus gros matchs que nous promet cette nouvelle décennie. Dans le peloton de tête, les Black Angels confirment qu’ils sont plus que jamais prêts à secouer l’étendard psychédélique, là où Warlocks et autres Brian Jonestown Massacre semblent l’avoir laissé en berne. De leur côté, quelques sensations NME (These New Puritans, Blood Red Shoes) semblent faire mentir la politique de l’hebdomadaire britannique en persistant sur la durée.
Malgré tout, la tendance a été lâchée dès que l’on prononcé l’expression force tranquille. Sans renier les hauts mérites des Black Keys et d’Arcade Fire, il est patent que tous deux sont davantage à l’heure de la confirmation que du coup d’éclat. Ils font évoluer leur base sonore tranquillement mais sûrement, sans ardeur excessive. En clair, si 2010 n’a pas manqué de très bon disques, on roupille sec dans le petit monde du rock ! Et ces derniers temps, trop. Nos discoramas de la première décennie 2000 (on n’a toujours pas fini notre balayage discographique et on espère que ça vous plait) sont assez limpides dans le constat implacable qu’ils dressent : sur un plan arithmétique, les albums sortis entre 2000 et 2005 s’imposent largement face à leurs petits frères des années suivantes. Autrement dit, le rock se repose paresseusement depuis trop d’années sur les reflux de la vague du nouveau millénaire. Revival garage périmé et électro-rock rance se renvoient placidement la balle. On commence à avoir un peu marre de compter les points. Où sont les groupes qui vont mettre un coup de pied dans la fourmilière et donner une impulsion nouvelle à ce cirque tournant de plus en plus en rond ? Fin 2009, les champions de la décennie étaient clairement Josh Homme et Jack White, qui avaient réussi à imposer sur la durée une vision aussi personnelle qu’exigeante. Si on reste plus que partant pour les suivre, il est inéluctable qu’ils vont désormais plutôt consolider leur assise que se remettre en cause et pointer vers des directions inédites. On a grand soif de renouveau, de nouvelles tendances, juste pour l’excitation des débuts, l’étincelle originelle, la sensation que tout recommence à nouveau. Car que fait-on en ce début d’année ? On scrute les Strokes s’entre-déchirer, planifier une date de sortie d’un quatrième opus puis l’annuler, pour la confirmer enfin avec embarras quelques jours plus tard. Ça sent la déception annoncée. Quelqu’un a-t-il vraiment envie d’écouter le disque de cinq types qui n’ont manifestement plus envie de jouer ensemble ? Mêmes relents de décadence à l’approche du projet Beady Eye. Liam Gallagher, quadra pataud bien loin de la fougue de sa jeunesse, frontman et songwriter en chef libéré de l’ombre de son frère, promet un chef d’œuvre. Really, mate ?
Mais peut-être espère-t-on en vain. Peut-être que ces temps sont révolus. Peut-être que le revival garage-Converse-vintage était le dernier spasme, l’ultime relent d’un golem médiatico-industriel aujourd’hui définitivement obsolète. Peut-être que la logique individualiste portée par le téléchargement, l’I-Pod, les blogs et les réseaux sociaux a fait son œuvre et qu’on ne se laissera plus imposer le fantasme, certes frelaté, d’une histoire du rock scandée par l’apparition de nouvelles générations de groupes sortis de nulle part, forcément formidables, et qu’à part eux point de salut. Oui, c’est peut-être la fin du rock en tant que mouvement historique. Peut-être que Green Day et les Red Hot Chili Peppers sont les derniers avatars du modèle de groupe de stade conquérant de nouveaux publics générations après générations. Peut-être qu’on assiste désormais au règne des petits chapelles évoluant de leur côté en quasi-autonomie. Peut-être que la force légitimante de la critique officielle et des attachés de presse influents appartient bel et bien à une ère révolue.
On poursuivra ces interrogations sur notre sol, car que retenir de 2010 sur le plan hexagonal si ce n’est la dissolution qu’on prédit définitive de Noir Désir ? La formation de Bertrand Cantat avait ouvert la décennie sur un rapprochement évident avec la grande chanson française sur Des visages et des figures et jette aujourd’hui l’éponge dans la frustration, la rancœur et l’impuissance. On pensait le groupe en rémission. Il succombe finalement à une lente agonie. Philippe Manœuvre, qui n’a pas écrit que des conneries, a toujours dit qu’en France on ne tolérait qu’un seul groupe de rock, à lui et personne d’autre d’abattre le boulot. Pas de concurrent, ni même de faire-valoir. Après Téléphone, Trust et les Béruriers Noirs, Noir Désir a donc régné sur le trône sans contre-pouvoir. Un despotisme dont on ressent encore les effets aujourd’hui. Le roi est mort, vive le roi. Il faut consacrer un nouvel héritier très vite, mais c’est tout un modèle qu’il faut intégralement repenser d’abord. Peut-être qu’on peut faire du rock sans courber l’échine face à Ferré et Brel, sans se draper dans la figure du poète maudit, sans obligatoirement être de gauche, altermondialiste, écologiste, pour les droits des sans papiers, sans avoir le petit discours contre la major, sans avoir à clamer son intégrité à tout bout de champs avec l’accent du sud-ouest comme caution d’indépendance… En tout les cas, on n’a pas encore trouvé ce successeur qui nous apporterait cette bouffée d’air frais dont on aurait tant besoin. Espérons qu’on fera mentir le même Manœuvre quand il dit avoir la perle rare du côté des BB Brunes.
Si l’on est prêt à parier que 2011 regorgera de très bons disques, de concerts dantesques et de groupes à suivre, on ne cesse d’avancer dans cette nouvelle décennie sous une torpeur expectative. Que l’époque s’acharne dans la morosité ou qu’elle se pique de quelques ardeurs, on reste plus que jamais aux aguets.
Bonne année à vous tous !
PS : 2011 sera l’occasion de fêter les 10 ans d’albumrock. On réfléchit encore à la chose, mais on se prépare à vous ouvrir les coulisses du webzine pour une visite privée. Stay tuned !
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