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Critique d'album

Yes


Close to the edge


(13/09/1972 - Atlantic - Rock progressif - Genre : Rock)
Produit par

1- Close to the Edge / 2- And You and I / 3- Siberian Khatru
Note de 5/5
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Note de 5.0/5 pour cet album
"Parvenu au bord du gouffre, j’ai fait un grand pas en avant. – Anonyme"
Daniel, le 26/03/2022
( mots)

Mystères de la traduction. Il est possible d’interpréter les quatre mots du titre par "Près du bord" ou "Au bord du gouffre". 


Ca change un peu la donne. Parce que, si l’enfant aime à être près du bord pour regarder la mer, l’adulte déteste être au bord du gouffre quand il y pressent sa fin.


Elvis Presley a posé les jalons natifs du rock’n’roll fin 1954. Les Beatles ont repoussé les limites du genre en 1967 avec Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band puis, en 1968, avec le Double Immaculé sans nom. En résumé, les quatre garçons ont démonté les balises qui marquaient les frontières du binaire pour aller les égarer très loin dans l’hyper-espace. 


Mais, comme disait le Capitaine Kirk (1), l’humanité doit sans cesse repousser les limites de ses conquêtes.


En 1972, les cinq musiciens de Yes ont démonté les balises égarées par les Beatles pour les exporter si loin que personne n’en a plus franchi la frontière depuis lors. Sauf par accident. Et encore.


Même si certains sons de Close To The Edge – comme les claviers – sont empreints des consonnances liées à leurs temps, le maul musical que forme le quintet a tout explosé, imposant un nouveau mètre-étalon à la musique rock. Définitivement (du moins jusqu’à présent).


Pourtant – et c’est là que réside l’ambiguïté du titre –, au moment d’enregistrer son cinquième album, Yes souffre de lézardes. A l’écoute de l’opus précédent (Fragile - 1971), il semblait pourtant évident que le groupe avait trouvé sa formule la plus magique avec Anderson, Howe, Squire, Wakeman et Bruford.  


Mais Bill Bruford – qui affirme par ailleurs être à l’origine du titre Close To The Edge – ressent un malaise existentiel. Il ne comprend ni l’orientation musicale de Yes, ni le laborieux processus d’enregistrement choisi par le groupe. Il est vrai que chaque séquence de notes est tout d’abord improvisée, enregistrée pour ne pas être oubliée (2), évaluée et discutée par chacun des musiciens puis retravaillée, intégrée dans un ensemble plus important et, enfin, abandonnée ou enregistrée dans une version finale. 


Cet étrange modus operandi est principalement conduit par Jon Anderson et Steve Howe. Chris Squire suit le mouvement tandis que Rick Wakeman et Bill Bruford se cantonnent dans un rôle d’"observateurs perplexes". 


Pour le batteur, le schisme est profond. Il estime que Yes doit quitter le confort de la musique diatonique classique (Do, Ré, Mi etc.) pour s’aventurer vers un jazz chromatique où chaque accord peut revêtir des "couleurs" sonores différentes. C’est clairement une querelle intellectuelle sans fin (3). 


En 1972, l’apparente complicité du quintet de surdoués n’est qu’affaire de façade et le batteur sera proprement viré à l’issue du processus d’enregistrement. Il s’ensuivra une bataille financière assez sordide, motivée par des enjeux très éloignés des mantras solaires chantés par Ion Anderson (4).


On peut évidemment discuter ad libitum des querelles humaines. Les groupes sont faits pour s’assembler et pour se séparer. Finalement, les êtres passent et leurs œuvres restent. Malgré sa gestation douloureuse, Close To The Edge a franchi tous les obstacles du temps depuis cinquante années. Il est même possible que les tensions accumulées aient incité les musiciens au dépassement. 


La structure de l’album n’est pas novatrice mais elle est déroutante. La plage titulaire occupe la première face (5) et deux titres très contrastés se partagent la seconde.


A l’instar des mélodies bibliques qui subdivisent "Close To The Edge" en plusieurs chapitres passionnants, la poésie du titre est tellement magnifique que chacun.e peut y entendre ce qui va l’apaiser. Malgré cinquante années d’exégèses diverses, il n’existe encore aucune interprétation (ni traduction) "consensuelle" du texte. Ce n’est ni une poésie abstraite, ni un assemblage de phonémes réunis au hasard, ni une "stratégie oblique". Chaque mot a – forcément – un sens, mais pas toujours le même ; c’est selon l’état d’âme, le moment de la journée ou la saison. A cet égard, le texte touche à l’universalité. 


Et cette universalité est particulièrement soulignée par les touchantes interventions de Rick Wakeman aux grandes orgues (circa 08’00’’, 12’00’’ puis 13’00’’).


En début de face B, "And You And I" est une superbe chanson d’amour mais aussi un exercice romantique de style puisque le mot "love" (tellement galvaudé par la génération précédente du rock) n’est jamais prononcé alors qu’il brille dans chaque note.


Bien plus musclé, le troisième et dernier titre, "Siberian Khatru" (devenu un classique en concert), interpellera à jamais les exégètes. Dans l’imaginaire Andersonien, "Khatru" signifie "hiver" (ou son contraire, "été") ou encore "comme vous voulez". En d’autres termes, l’auteur ne souhaite pas vraiment s’épancher sur le sujet. Et il est inutile de s’en inquiéter d’avantage (6). 


A l’écoute attentive au casque, le titre très rythmé semble parfois "tournoyer". L’effet a été imaginé par le coproducteur Eddie Offord qui a expédié un stagiaire dans les cimaises du studio pour faire tourner un micro au bout de son fil pendant l’enregistrement de certaines séquences. Une fois encore, si la légende est plus belle que la réalité, il faut publier la légende.


Pour les enfants du rock, en 1972, la découverte "matérielle" de Close To The Edge en format vinyle est un moment très décevant après la magnificence de la couverture de Fragile (1971). En façade, la double pochette se contente en effet de décliner un malheureux camaïeu verdâtre (invendable selon les publicistes d’Atlantic). Mais le nouveau logo créé par Roger Dean retient l’attention. L’entrelac a été révélé à l’illustrateur durant un voyage estival en train à destination de la plage mythique de Brighton. 


Une fois déplié, l’intérieur de la double pochette dévoile un paysage à la fois naïf (7) et envoûtant fait de falaises blanches, de mers perchées, de concrétions rocheuses et de cascades. Sans parler de bâclage, ce n’est certainement pas une œuvre maîtresse de l’élève de la Canterbury School Of Art.


En 1972, Yes invente le prog rock dans toute sa naïveté, sa grandiloquence, son outrecuidance et, probablement, sa pureté absolue. Mais aussi dans une certaine douleur. Depuis ce moment magique, il s’est trouvé des centaines de groupes et d’artistes qui ont évolué dans ce sillage magique sans jamais en percer vraiment les mystères. Ni dépasser le vaisseau-amiral…


A suivre…


(1) pour ceux qui n’ont pas encore atteint l’âge du chroniqueur, le Capitaine Kirk (William Shatner) est ce personnage de fiction colonialiste qui commande le vaisseau intersidéral Enterprise NCC-1701 dans le feuilleton Star Trek (79 épisodes cultissimes entre 1966 et 1969).


(2) c’est le problème de tous les musiciens qui ne connaissent pas le solfège. Pratiquer une musique que l’on créée sans savoir l’écrire est un handicap (ou un tour de force, selon l’humeur du moment) qui nécessite des efforts ahurissants de mémoire. 


(3) le plus comique (pour autant que l’on puisse trouver quelque chose de vraiment comique dans Yes, à l’exception des textes), c’est qu’après le départ de Rick Wakeman en 1974, le groupe recrutera le suisse Patrick Moraz qui privilégiera une approche jazzy des claviers pour l’excellent album Relayer (1974).


(4) la même histoire se reproduira rapidement avec le départ de Rick Wakeman après l’enregistrement du double album Tales From Topografic Oceans (1973). Le claviériste avait alors expliqué qu’il ne comprenait plus la musique du groupe (et, à ce moment-là, il n’était probablement pas le seul). 


(5) le format de 18 minutes est lié aux contingences techniques des vinyles 33 tours qui ne permettaient pas d’aller "au-delà". Est-ce un défaut ou une qualité ? Est-ce que les contraintes techniques ont bridé l’imagination de Yes ? Ou, au contraire, est-ce que le groupe a souhaité remplir tout l’espace sonore dont il pouvait disposer ? Le mystère demeurera éternellement. Pour la part du chroniqueur, la "brièveté" est une qualité dans la mesure où, par la suite, les groupes prog ont souvent usé du format CD (ou double CD) afin étaler leurs indigences sur des distances nettement plus indigestes.


(6) les références à un rassemblement d’auteures de science-fiction (qui portait le même nom) ne sont pas pertinentes puisque ce congrès s’est tenu deux ans après la sortie de l’album.


(7) à la limite des aquarelles de Jean-Michel Folon.

Commentaires
Daniel, le 27/03/2022 à 16:11
Tout d'abord, merci à Yessongs de m'avoir réservé un peu de temps pour me lire. Il y a 50 ans, Close To The Edge m'a aidé à me "construire". Mon intérêt pour l'album va au-delà la musique... En préambule, mille excuses pour la coquille "Ion - Jon". Je suis d'autant plus impardonnable qu'il y a un portrait de Jon au-dessus de mon lit et que le nom y est inscrit correctement. Une correction va être apportée dans l'article. En ce qui concerne le départ de Bruford, je dois admettre que ma démarche n'est évidemment pas celle d'un historien. Je n'ai pas la formation scientifique pour exercer cette discipline (que j'admire au demeurant). Par contre, j'ai été "contemporain" des faits quand ils se sont produits. Et, en ce temps-là, notre "presse" (c'est à dire peu de chose) a parlé d'une éviction. Le sujet a alimenté bon nombre de discussions dans nos petits groupes de rockers. Mon sentiment (en sachant que je ne détiens pas la science infuse et que je n'étais pas dans le studio avec Yes) est que Bruford a fait preuve de résilience dans sa biographie postérieure. Ses propos (et son désarroi) étaient moins aimables en 1972. Selon les sources dont je dispose, le batteur entendait bien quitter Yes en bonne entente pour rejoindre les allumés de King Crimson. Mais il était clair dans son esprit qu'il participerait à la tournée consécutive à Close To The Edge (album pour lequel il a donné, je pense, le meilleur de lui-même). Steve Howe (qui regrette ses décisions et ses paroles aujourd'hui) n'aurait pas accepté ce "partage" entre deux groupes. Alan White a été engagé en catastrophe, la légende racontant qu'il aurait disposé de trois jours pour assimiler le répertoire du groupe avant la tournée. Il me semble par conséquent clair qu'il y a eu "précipitation". La légende raconte aussi que Bruford aurait été privé de la moitié du salaire qui lui était dû pour le travail d'enregistrement. Cette moitié aurait été versée à son successeur pour la tournée. Je me permets par conséquent d'écrire aujourd'hui que Bruford a été viré. Mais il est évident que toute autre version est "soutenable" (pour utiliser un terme actuel). Et, à titre personnel, je suis heureux que les vieux musiciens se réconcilient (même tardivement) parce qu'en termes de relations humaines, les rancœurs anciennes sont les pires obstacles que je connaisse à la paix des consciences. Keep on rockin' (in a free world) !
Yessongs, le 26/03/2022 à 14:04
Je ne pense pas que Bill Bruford ait été viré du groupe. D’ailleurs, il suffit de lire son livre autobiographique (traduit en français par Aymeric Leroy) pour comprendre que c’était sa volonté de quitter Yes afin d’aller vers quelque chose de nouveau lui correspondant mieux. Il suffit de lire Bill Bruford (page 60) « Durant ma brève carrière, je n’avais joué qu’avec une poignée de musiciens, et je savais que je ne trouverais pas ce que je recherchais dans ce groupe, en dépit du démarrage en trombe qu’il avait donné à ma carrière. J’avais été très heureux dans Yes, mais j’avais soif d’apprendre. Et j’étais bien décidé à changer la face du monde avec King Crimson » Concernant la musique, nous avons affaire à une oeuvre magistrale. il suffit d’écouter l’intro. de Close to the Edge avec ses sons de cascades et chants d’oiseaux, la guitare magnifique de Steve Howe, la puissance de la basse de Chris Squire et le génial solo d’orgue de Wakeman. Cette album d’une grande maitrise instrumentale est, pour moi, l’un des meilleur de toute l’histoire du rock. Dans le texte, il faut lire Jon Anderson et non Ion Anderson.
FrancoisAR, le 27/02/2022 à 14:55
@Yessongs. Cette année, sans faute.
Yessongs, le 27/02/2022 à 13:31
Bonjour, A quand une chronique sur ce chef-d'oeuvre de la musique progressive ?