Pure Reason Revolution
Coming Up To Consciousness
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1- Prelude: Coming up to Consciousness / 2- Dig Till You Die / 3- Interlude 1 / 4- Betrayal / 5- The Gallows / 6- Interlude 2 / 7- Useless Animal / 8- Interlude 3 / 9- Worship / 10- Interlude 4 / 11- Bend the Earth / 12- Lifeless Creature / 13- Interlude 5 / 14- As We Disappear
On attend forcément beaucoup d’un groupe comme Pure Reason Revolution. Depuis son premier coup d'éclat baptisé The Dark Third, le groupe a enchainé les tours de force sans hésiter à sortir de sa zone de confort quitte à désarçonner son public, créant un véritable appel d'air sur la scène progressive des années 2000. Point central de cette insolente réussite, on retrouve l'extraordinaire complémentarité vocale de Jon Courtney et Chloe Alper, une science de l’harmonie comme on en a rarement entendu avec des enchevêtrements de voix surnaturels et des envolées tantôt lyriques et héroïques, tantôt enveloppantes et sensibles. Un bagage vocal hors norme et un sens de la composition qui leur permet de s’aventurer sur tous les territoires de la musique contemporaine. Mariant l'héritage du Floyd avec des sonorités et des effets de production plus modernes, la discographie des Britanniques constitue ainsi une suite de revirements déstabilisants du rock psychédélique au metal jusqu’à l’électro, en passant par la dance music.
Un volte-face permanent qui s’avère néanmoins moins prégnant depuis la reformation miraculeuse du groupe en 2020, accouchant d’un fantastique Eupnea (le disque de l’année 2020, sans contestation possible) puis d’un Above Cirrus (le disque de l'année 2022, cette fois les contestations sont possibles) entérinant le penchant du groupe pour les grosses lignes de guitares saturées. Si le come-back de 2020 semblait inespéré, on pouvait craindre un nouveau coup d'arrêt avec la défection de Chloe Alper, récemment partie vers de nouveaux projets. Coup dur s’il en est, puisque la complémentarité des voix masculines et féminines constituait l’essence sonore même du groupe. L’intégration d’Annicke Shireen, qui assumait déjà le rôle de chanteuse lors des dernières tournées, est de ce point de vue parfaitement naturelle. Fort heureusement, l’atout principal de Pure Reason Revolution ne faillit et ne faiblit donc pas, et on se laisse toujours emporter par la beauté troublante du duo, bien accompagné par Greg Jong (vocaux, claviers, guitares), Guy Pratt (basse) et Ravi Kesavaram (batterie) et mise en valeur par une production haut de gamme.
Le groupe a en effet pu profiter pour cet album de l’expérience des vétérans de The Pineapple Thief, Bruce Soord assurant le mixage (et ajoutant quelques lignes de guitares), Steve Kitch le mastering, tandis que Jon Skyes s’est chargé de la basse sur un titre. Un coup de main salutaire sur le plan de la musique en elle-même mais qui rend encore plus incompréhensible le choix fait concernant la structure de l’album : 8 titres entrecoupés de 7 interludes vides qui n’apportent rien à l’expérience à part des respirations malvenues qui nuisent à la cohésion d’ensemble. Comment un groupe de ce talent a-t-il pu se fourvoyer dans ce découpage inutile qui casse l’immersion ? Dommage, car ce parti pris empêche d’entrer pleinement dans l’album lors des premières écoutes et a bien failli nous échauder, alors que ce Coming Up To Consciousness vaut pourtant largement le coup d’oreille.
En premier lieu, on peut dire que les fidèles du groupe ne seront pas dépaysés. On retrouve d’emblée la référence floydienne avec ces guitares teintées de réverbération qui introduisent "Dig Till You Die" et mettent en valeur l’enchevêtrement des voix de Courtney et Shireen au service d’une mélodie aérienne subitement brisée par la tension sourde d’un riff violent. Cette alternance de passages mélodieux oniriques et de digressions musclées dans la lignée des deux précédents albums reste définitivement l’un des points forts du groupe avec des envolées héroïques parfaitement maitrisées. On pense notamment au magistral "Worship", introduit par des lignes de guitares rêveuses, qui force le respect par sa progression épique servie par un refrain saisissant rappelant la force brute de l’incroyable "Ghosts & Typhoons" sur Eupnea.
Ce nouveau cru s’avère cependant moins progressif dans son approche avec des morceaux plus courts et accessibles jouant avant tout sur la fibre affective de l’auditeur. Piano mélancolique et guitares larmoyantes sont particulièrement en vue, à l’instar du superbe "Betrayal" chargé d’émotion, porté par un refrain très accrocheur oscillant entre délicatesse et puissance, comme une suite logique au titre "Cruel Deliverance" sur Above Cirrus. Inspiré par la disparition du chien de Jon Courtney et le sentiment de culpabilité lié à son euthanasie, ce disque est plus que les autres traversé par une tristesse saisissante et doté d’une forte charge émotionnelle explorant les thématiques du deuil, de l’introspection et du regret.
Plusieurs titres évoquent ainsi directement le décès du fidèle compagnon du chanteur, notamment "Useless Animal" qui exprime avec force la douleur et le sentiment de perte, avant une nouvelle incursion heavy où la six-cordes fait encore des ravages. Même désespoir palpable sur "Lifeless Creature" magnifié par le chant d’Annicke Shireen sur un refrain touchant qui gagne progressivement en intensité avant un pont à l’atmosphère lourde et menaçante et un final triomphal. Autre moment fort de l’album, "Bend The Earth" évoque de son côté une pop électro-progressive racée qui multiplie les mélodies dans la mélodie et nous emporte sur un refrain divin et un solo réussi qui fait son petit effet. On évoquera enfin la semi-déception de "The Gallows" marqué par une entame somptueuse qui n’aurait pas dépareillé sur The Dark Third entre guitare slide rêveuse et harmonies vocales acrobatiques, débouchant finalement après un court passage à l’harmonica sur une seconde partie plus jazzy et chaloupée. Dommage que la transition manque un poil de cohérence là où le titre aurait pu gagner en puissance et en profondeur pour devenir un nouveau classique. En guise de conclusion, "As We Disappear" résume tout le savoir-faire mélodique du groupe avec un Jon Courtney qui livre une de ses prestations les plus attachantes, gouttes de piano, cordes et guitares plaintives se confondant pour un final particulièrement émouvant.
Moins fougueux, moins expérimental, moins jusqu’au boutiste dans son intention mais certainement plus touchant, ce 6ème album de Pure Reason Revolution s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs sans en partager l’exubérance. Un album cathartique et plein d'humanité qui montre que l’essence du groupe peut survivre au départ de sa moitié fondatrice et qu’en plus d’être un musicien de génie, Jon Courtney est un être doté d’une grande empathie. Et rien que pour ça, chapeau bas.