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Critique d'album

Meshuggah


Immutable


(01/04/2022 - Atomic Fire Records - thrash-math-metal (!) - Genre : Hard / Métal)
Produit par Meshuggah

1- Broken Cog / 2- The Abysmal Eye / 3- Light the Shortening Fuse / 4- Phantoms / 5- Ligature Marks / 6- God He Sees in Mirrors / 7- They Move Below / 8- Kaleidoscope / 9- Black Cathedral / 10- I Am That Thirst / 11- The Faultless / 12- Armies of the Preposterous / 13- Past Tense
Note de 3.5/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Où comment apprécier la plus extrême des musiques extrêmes"
Nicolas, le 20/10/2022
( mots)

Quand on chronique un disque, on se retrouve parfois confronté à ses propres limites, évidence ô combien criante quand on s’attaque à un album et à un groupe qui cochent toutes les cases de l’extrémisme musical. Nombre de lecteurs de ces lignes se seront connectés à Albumrock après une recherche Google et s’étonneront sans doute de la candeur et de la béotie de ce papier consacré à un groupe culte s’il en est, mais surtout à un groupe traité exclusivement ou quasi-exclusivement par de fins connaisseurs. Alors autant l’avouer tout de go : Meshuggah, je n’y pipe absolument rien. La formation m’est essentiellement connue par les influences dont nombre d’acteurs de la musique rock - en particulier heavy metal, en particulier djent - se targuent. J’ai très souvent essayé de me frotter à ce monstre dès lors que Steven Wilson l’a porté aux nues, j’ai tâté en leur temps et à plusieurs reprises de Chaosphere ou d’Obzen, avec une réaction que d’aucuns pourraient qualifier de saine : l’horreur, la répulsion pure et simple. La violence inouïe de la proposition, la crudité du chant de Jens Kidman, l’hermétisme de la rythmique, l’insoutenabilité du son, tout cela m’a effrayé. Dès lors j’observais le combo suédois d’un œil et d’une oreille distants, encore échaudé par mes infructueuses tentatives passées mais tout de même curieux, avide de comprendre pourquoi il suscitait une telle passion parmi les aficionados de musique extrême. Or parfois, tout n’est qu’une question de momentum, de ces conditions qui doivent se trouver réunies pour accrocher à, et pénétrer dans, un univers. Maturité, sentiments éprouvés, état d’esprit, et tout simplement, comme dirait l’autre, l’occasion qui fait le larron. Et voilà que la sortie d’Immutable, au terme d’un silence de six années de ces turbulents nordiques, a été pour moi l’opportunité de replonger dans cette marmite de plomb en fusion. Et contre toute attente, j’y ai pris goût. 


Sans doute l’introduction “douce” du disque a-t-elle compté dans cette prise de contact positive. “Broken Cog”, en effet, ménage son monde par une entrée en matière certes glaçante mais relativement calme, sombre quoique aliénante, avec un chanteur qui s’accroche à des chuchotements fiévreux durant de longues minutes avant de basculer dans ces habituelles stridences gutturales qui ne le quitteront plus du disque. Qu’importe, finalement : une fois la porte entr’ouverte, il est plus aisé d’y glisser la semelle de chaussure. Et dès que retentit “The Abysmal Eye”, la messe est dite : Meshuggah sait mieux qu’aucun autre groupe flirter avec la fascination hypnotique. La distorsion insensée, la rythmique frénétique, la brutalité confondante du chant, tout contribue à faire de cette seconde infection la plus stupéfiante qui soit. Un climat, une ambiance s’installent, faits d’attraction et de répulsion mêlées, entraînant un degré d’écoute qui vise à trier ce que l’on perçoit, à ne plus considérer le chant comme le moteur mais comme une simple couleur, les traînées noirâtres qui magnifient une peinture infernale sibylline, de ce genre d’œuvres de prime abord laides devant lesquelles on se pâme sans même comprendre pourquoi. Ce qui accroche particulièrement chez Meshuggah (en particulier chez votre serviteur), c’est une maîtrise inouïe du son et notamment de la distorsion. Les trépidations erratiques des cordes ne servent finalement qu’à mettre en exergue ces très courtes pauses impromptues durant lesquelles les guitares se vrillent, collent, raclent l’asphalte, happant l’auditeur d’une oppressante poigne de fer. L’effet se vérifie tant sur cet hystérique “The Abysmal Eye” au solo épouvantable (au sens propre du terme) que sur le plus heavy metal “Ligature Marks” au tempo plus contenu et dont les syncopes insaisissables appuient encore davantage la puissance frapadingue des cordes électriques.


Il est difficile, vraiment, de chroniquer un album ou même un simple titre de Meshuggah tant les thèmes, les atmosphères, les tempos, les propositions s’alternent avec implacabilité. La richesse qui s’y exprime ne transparaît que par sous-couches de prime abord imperceptibles, noyées sous une ire en apparence indomptable, des sous-couches qui se succèdent avec une science confinant à la folie pure. C’est vrai pour un “Light The Shortening Fuse” bâti sur une infinité de soubresauts à la rugosité insoutenable dont les guitares tentent par tous les moyens de s’extraire, en vain – du moins jusqu’à parvenir à un moyeu central qui se réfugie derrière de tonitruants coups de boutoir sur une carapace en airain. Ailleurs, c’est l’arythmie qui prédomine (quand bien même elle imprègne l’ensemble de la galette), ici l’absence totale de pulsation, une batterie qui ferraille seule dans son coin tandis que les cordes enchaînent les chausse-trapes les plus obscènes (“Phantoms”, aussi répugnant que jubilatoire). Sans doute les quelques respirations de ce disque-ci constituent-elles autant de bouées de sauvetage lancées aux néophytes, de ces pauses salutaires qui nous évitent la noyade avant de devoir à nouveau braver la mer démontée. “They Move Below” est de celles-ci, aussi épuisée que glauque, d’une douceur écœurante mais ô combien délectable après les puissantes charges successives d’artillerie lourde imposées par l’irascible “God He Sees In Mirrors”, mais également l’assourdissant, abyssal et sursaturé “Black Cathedral”. La fin du disque se montre tout de même moins ulcéreuse, indépendamment d’un “Past Tense” conclusif totalement apaisé mais non moins tourmenté. Le rythme moins enlevé de “Kaleidoscope” nous permet d’apprécier la maîtrise djent avant l’heure de l’équipe de gratteurs tout comme la redoutable technicité de Tomas Haake à la batterie (une partition incroyable), quand les soli dissonants de Fredrik Thorendal, l’âme de ces fous furieux, ne nous font pas délicieusement grincer des dents. Il y a même encore des idées géniales qui se font jour, comme ce riff impérial de “I Am That Thirst” joué comme sur un banjo plombé d’outre-tombe ou celui, chromatique, qui flirte avec les ultra-basses de “The Faultless”. Mais ne vous réjouissez pas trop vite : la rotative lourde est de nouveau de sortie sur le tétanisant “Armies of the Preposterous”, peut-être le titre le plus jusqu’au-boutiste, le plus insensé, le plus rude du lot, distillant une variété tout bonnement ignoble dans les sévices auditifs, une ignominie au sein de laquelle on se surprend à se lover, comme heureux de se recroqueviller pour échapper à cette litanie de tortures aussi vicieuses qu’imprédictibles.


On ressort ébranlé mais aussi époustouflé par cette expérience, sans doute moins imbuvable que sur d’autres disques de Meshuggah eut égard justement à cette salutaire variété et à ces respirations qui nous font goûter à toutes les nuances, toutes les subtilités de cette proposition musicale radicale sans nous en gaver à l’entonnoir. Je ne doute pas qu’Immutable fera fuir 99 % de nos lecteurs, et encore je suis gentil. Mais pour les plus curieux d’entre vous, les plus tolérants aussi, les plus ouverts, les plus persévérants, il y a dans ces sillons une matière fabuleuse qui ne demande qu’à se laisser approcher et apprécier. Attention tout de même, âmes sensibles s’abstenir à tout prix : vous voilà prévenus, et dès lors tous ceux qui n’auront pas mis les voiles (et qui en ferait le reproche ?) n’auront plus qu’à prendre leur pied.



Commentaires
Daniel, le 23/10/2022 à 19:55
Meshuggah pose des jalons bien au-delà des clichés habituels du genre. J'admets que, de prime abord, son "expression" est a priori rebutante mais, si l'on prend la peine de s'intéresser à la démarche, le monde qui se révèle derrière le miroir est vraiment intéressant. Chouette chronique qui ouvre des portes.
NicolasAR, le 21/10/2022 à 14:25
Peut-être bien en effet, mais n’oublions pas que beaucoup vont être hermétiques au rock lourd, plus encore au heavy metal, plus encore au metal avec vocaux « non chantés », et ici on franchit encore un cran dans la difficulté d’accès. Après il est possible que la frange de notre lectorat qui soit metal friendly se soit accrue au fil des années - ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années, ça mériterait d’ailleurs une petite étude :-)
jojo, le 21/10/2022 à 11:56
Vous pensez sincèrement que 99% des lecteurs d'Albumrock ne peuvent pas apprécier du Meshuggah ? C'est certes peu accessible, mais compte tenu de l'âge de la formation et de leur influence sur de nombreux groupes, beaucoup ont déjà dû s'y frotter et (a minima) trouver leur démarche intéressante. Allez perso je mise plutôt sur un petit 20% / 30% de vos lecteurs qui pourraient apprécier ce groupe :p