
My Chemical Romance
I Brought You My Bullets, You Brought Me Your Love
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1- Romance / 2- Honey, This Mirror Isn't Big Enough for the Two of Us / 3- Vampires Will Never Hurt You / 4- Drowning Lessons / 5- Our Lady of Sorrows / 6- Headfirst for Halos / 7- Skylines and Turnstiles / 8- Early Sunsets Over Monroeville / 9- This Is the Best Day Ever / 10- Cubicles / 11- Demolition Lovers


Au cœur du New Jersey, les habitants de Belleville pouvaient observer, sur les hauteurs bordant leur cité, une petite bâtisse défraîchie le jour, qui, une fois la nuit tombée, se muait en un manoir aussi austère que fascinant. Des hurlements terrifiants résonnaient autour de l'édifice. Cela n'avait pas empêché quelques téméraires de s'en approcher, curieux et désireux de voir qui avait bien pu prendre possession des lieux. Tous ces audacieux rapportèrent le caractère ténébreux et ensorcelant de la bâtisse, mais s'accordèrent aussi sur le fait qu'elle n'avait rien de repoussant. Mieux : elle semblait irradier d’un romantisme mélancolique, explicité par son portail d'entrée portant l'inscription "Romance".
La vieille porte en fer forgé s’ouvrait sur une mélodie instrumentale d’un autre temps, où le crépitement d’une antique radio laissait échapper le spleen des arpèges joués à la mandoline.
L’intérieur du manoir concentrait tous les aspects malaisants inhérents à sa condition : l’air y était moite, les pierres d’un autre âge transpiraient une poussière lourde qui, irrémédiablement, finissait par se loger dans les toiles d’araignées servant de décoration. Il n’y avait aucun doute : cet endroit était le domaine de l’obscurité. Et ce n’étaient pas les rayons cendrés du clair de lune, filtrant à travers les vitres brisées, qui allaient suggérer le contraire.
Pourtant, la vie résonnait bel et bien ici. Elle jaillissait avec force du fond du gouffre observable depuis l’escalier principal. Les accords saccadés et vertigineux de "Honey, This Mirror Isn’t Big Enough for the Two of Us" nous propulsent à la rencontre des protagonistes. Cinq créatures, emmitouflées dans leurs capes noires, exorcisent une incantation ténébreuse, la pâleur de leur visage comme guide au cœur de la nuit. La puissance mêlée de la section rythmique basse-batterie sur ce titre fait trembler l’édifice, qui semble parfaitement s’accommoder de la violence crasse du morceau.
Le quintet fait corps avec son environnement. Leur son gothique, teinté d’accents horrifiques, pose une couleur indélébile et immédiatement identifiable. Le groupe fera étalage de toute l’intensité de cette identité sonore sur "Our Lady of Sorrows", avec son introduction démoniaque et son refrain hautement inflammable. Une réalisation aux allures de potion maléfique, terriblement addictive.
Dans cette déflagration introductive, on ne peut s’empêcher d’être captivé par le chanteur de cette étrange formation. Il y a quelque chose d’hypnotisant : une voix à fort potentiel charismatique, mais qui peine encore à exprimer toute sa puissance ; la faute à quelques errements, partagés entre éraillements involontaires et moments de fragilité parfois irritants à l’oreille. Une créature enfermée dans un être qui n’a pas encore appris à dompter son autre-soi maléfique. Un apprenti vampire dont on découvre la face inoffensive sur "Vampires Will Never Hurt You", pour mieux en apprécier la souffrance, exprimée dans une tornade de riffs épiques sous un déluge mélancolique.
C’est alors que l’on constate, avec effroi, que la nuit s’est éclipsée, et que la lumière implacable du jour s’apprête à prendre sa place. À la surprise générale, l’effacement de l’obscurité n’altère en rien l’enthousiasme du quintet, qui continue d’appuyer ses incantations. La lumière semble faire partie intégrante de leur nature. Leur essence romantique n’est pas absolue, mais bien alchimique.
My Chemical Romance naît dans cette conjugaison entre ténèbres et scintillements de clarté.
Le soleil, qui domine désormais le domaine des Américains, semble avoir été poussé par les vents de Californie. My Chemical Romance conjugue sa substance gothique à ce rayonnement si identifiable du punk-rock US. La guitare de "Drowning Lessons" ne laisse aucun doute quant à cette filiation suggérée.
Ces éclats punk-rock, le groupe va les assimiler de manière remarquable sur "Headfirst for Halos" : introduction autoritaire, suivie d’une avalanche d’accords saccadés sur fond de mélodie imparable. Une sucrerie adolescente, certes, mais dotée d’une intelligence rare qui lui évite toute naïveté, grâce à la cohérence de ses auteurs. Sauf que nos apprentis vampires s’aventurent un peu trop loin de leur confort ténébreux. Trop exposés aux rayons harassants du soleil punk-rock, leur épiderme s’embrase. Des brûlures qui accentuent les égarements vocaux sur "Skylines and Turnstiles", où Gerard Way peine à maintenir la justesse. Les créatures du New Jersey perdent en superbe sur l’interminable "Early Sunsets Over Monroeville", tentative vaine de céder au rituel casse-gueule de la ballade punk-rock. Leurs canines y volent en éclats. Reste que le quintet s’épanouit dans les recoins les plus sombres. Au crépuscule de "Demolition Lovers", la formation retrouve son bercail gothique et redonne de l’éclat à la noirceur, concluant ce premier effort en accord avec son essence originelle.
I Brought You My Bullets, You Brought Me Your Love concentre un maximum des caractéristiques inhérentes à un premier album. Il transpire de la spontanéité et de la passion débordante de ses auteurs pour mieux en afficher ses écarts et ses manques. Les Américains propose un disque habité et imparfait, parfois maladroit, mais profondément sincère. Toutefois on ne peut s'empêcher de trouver du charme, quelques choses de touchant dans ses failles : dans une voix qui déraille, un riff qui emprunte, une balade qui s’effondre…
On peut regretter que le groupe n’ait pas assumé jusqu’au bout la ligne gothique qui irrigue ses meilleurs morceaux. C’est dans ces atmosphères sombres, lyriques et empoisonnés que le quintet sculpte son identité la plus authentique. À côté, certains morceaux répondant aux sirènes du punk-rock peinent parfois à trouver leur place dans cet ensemble hanté. En résulte les débuts d'un groupe qui semble tiraillé entre deux ADN : celui des caves du New Jersey et des skateparks Californiens.
Loin de masquer ses excès, My Chemical Romance les expose à vif, avec une intensité qui réussit à compenser ses défauts.
A écouter : "Our Lady Of Sorrows" ; "Vampires Will Never Hurt You" ; "Headfirst for Halos"