↓ MENU
Accueil
Première écoute
Albums
Concerts
Cinéma
DVD
Livres
Dossiers
Interviews
Festivals
Actualités
Médias
Agenda concerts
Sorties d'albums
The Wall
Sélection
Photos
Webcasts
Chroniques § Dossiers § Infos § Bonus
X

Newsletter Albumrock


Restez informé des dernières publications, inscrivez-vous à notre newsletter bimensuelle.
Critique d'album

Seasick Steve


A Trip A Stumble A Fall Down On Your Knees


(07/06/2024 - - Boogie-Blues - Genre : Rock)
Produit par

Note de 4/5
Vous aussi, notez cet album ! (3 votes)
Consultez le barème de la colonne de droite et donnez votre note à cet album
Note de 4.0/5 pour cet album
"Sous la bannière Blues – Blanc – Rough "
Daniel, le 15/07/2024
( mots)

Les séductions de l’artifice

Sous un patronyme digne d’un second rôle dans SpongeBob SquarePants se cache un musicien qui pourrait avoir inventé la galéjade.

Ceci dit, on sait que, depuis le premier jour, le rock a été affaire de contrefacteurs, de mystificateurs et de bonimenteurs.

Non pas que la vérité vraie soit vilaine à entendre. Mais la légende a toujours été plus belle à colporter.

Prenons les Eagles ! Des Angelenos intellos et urbains qui se sont déguisés en desperados pour faire croire que leur musique était née dans la poussière des grandes plaines.

Et Creedence Clearwater Revival ? Des Franciscanais pur jus qui se sont inventés un profil de créatures du bayou de Louisiane.

Puis tous ces destins imaginaires entre gris soutenu et noir foncé : les Buckley père puis fils, les trois tombes de Robert Johnson, la mort de Jim Morrison dans les toilettes d’un rade de banlieue parisienne, les torgnoles de Ike à Tina, le pillage de l’héritage blues par Jimmy Page, l’apparition du fantôme de Syd Barrett dans le studio où le Floyd écrivait sa légende sans lui, la noyade en mer du seul Beach Boy qui savait nager, l’avion de Buddy Holly qui se crashe en pleine gloire, les cinq coups de feu dans l’entrée du Dakota Building, la mère maquerelle qui bute Sam Cooke, l’accident de voiture de Marc Bolan, celui d’Eddie Cochran et Gene Vincent, les flammes qui dévorent Lynyrd Skynyrd (d’abord sur la pochette de leur album puis en vrai), l’appétence d’Ozzy pour les volatiles vivants, …

Le sujet pourrait servir de fil conducteur à un livre plus épais qu’une encyclopédie en douze volumes.

Alors, le procès instruit à l’encontre de Steven Gene Wold semble un peu ridicule. D’accord, le gaillard est un menteur et un soiffard invétéré. Il s’est vieilli de dix ans pour aiguiser son propre mythe. Il a prétendu avoir appris le blues en errant comme un hobo dans le delta du Mississipi alors qu’il s’était barré en Norvège (sous son nom de baptême Steven Leach) pour jouer dans Crystal Grass, un horrible groupe disco. Il a fait courir le bruit que ses guitares ne comptaient que deux ou trois cordes parce qu’il n’avait jamais les moyens d’en acheter d’autres. Il prétend être un clochard solitaire alors qu’il compte (au moins) une épouse (dont il a adopté le nom) et cinq fils répertoriés.

Et sa merveilleuse amitié avec Janis Joplin reste évidemment peu documentée en-dehors de ses propres affirmations. Encore une fois, si vous n’aimez pas celle-là, Oncle Mal de Mer vous en racontera une autre…

Mais Steven Leach / Wold ne détient certainement pas le monopole dans l’art de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je connais par exemple peu de métalleux qui ont vraiment combattu des dragons, affronté Satan au cœur des Enfers, courtisé des reines blondes parmi les neiges éternelles ou dévoré des loups enragés.

Ce sont des galéjades. On y revient. Et généralement, nous aimons bien ça.

Trébucher avant de tomber à genoux

Connaissant l’apothicaire qu’est Seasick Steve, l’acquéreur de A Trip A Stumble A Fall Down on Your Knees s’attend logiquement à un enregistrement solo, lo-fi et paresseux en version bouseux.

L’artwork primitif (garanti pur jus bio sans IA) renforce ce sentiment.

Mais ce treizième album en solo est une vraie machine de guerre (14 musiciens et choristes) qui balance un immense mur de son atomique dans les haut-parleurs.

L’album est "secouant" et très émouvant. A mi-chemin entre un ZZ Top sous psilocybine et un Southside Johnny entouré de ses plus fidèles Asbury Jukes. Avec des accents occasionnels à la Stevie Ray Vaughn au mieux de sa forme (1).

Sous leurs travers un peu ironiques et leurs vérités inventées, les lyrics sont d’une "authenticité" fascinante. Seasick énonce ses sentences bonhommes sans aucun fard, avec les accents d’un grand-père bienveillant d’aspect mais un peu pervers qui s’amuserait à enseigner en cachette des conneries à ses petits-enfants.

Il n’y a qu’une seule issue
Eteignez vos portables et changez de vie
Dégottez un tourne-disque ou même une guitare
Passez un peu de temps avec vous-même
Pour découvrir qui vous êtes vraiment (2)

Même si son propos est un peu léger, "Backbone Slip" est un premier single imparable (promotionné par une vidéo géniale) qui invite à secouer la tête et taper du pied dès que l’aiguille du pick-up vient caresser le vinyle.

"San Francisco Sound ‘67" raconte cet Eté de l’Amour (fantasmé ou vécu) durant lequel les codes sociaux et musicaux de nos parents ont été fracassés pacifiquement ; c’est une merveille absolue. Au même titre que "Move To The Country" la longue plage introductive aux accents "à la Suzy Q (de qui vous savez)" qui s’autorise une surprenante digression country (forcément).

Les qualités mélodiques de "Cryin’ Out Loud" démontrent à quel point le Steve, en plus d’être un interprète convaincant, est un compositeur redoutable tant sa force de conviction inspire le respect.

Et comment ne pas citer "A Trip And A Stumble", une supplique adressée au Tout-Puissant (3) ? La prière est à ce point biblique qu’elle devrait toucher au cœur même les Dieux les plus cyniques (4).

Puis (déjà ?), il y a encore "Elisabeth" qui clôture l’album. C’est certainement la meilleure ballade country désespérée qui ait été écrite au XXIème siècle. Rien que la ligne d’harmonica mériterait d’être enseignée à l’Académie du rock. Un pont aux ânes émotionnel.

Je me sens désarmé
Je voudrais tellement soulager sa peine
Et tout ce que je fais
C’est chanter cette chanson
Et citer son nom
Elisabeth

Trop vieux pour le rock’n’roll et trop jeune pour mourir

Inutile de tourner autour du pot de confiture ! Seasick Steve est un songwriter (et un producteur) de première bourre et tous ses titres sont définitivement excellents.

Les chagrins objecteront que le navire de la musique ne devrait pas être confié à ce trop vieux capitaine sensible (5) au mal de mer. Les radieux se contenteront de profiter de 53 courtes minutes de pur bonheur. A fond les ballons.

Parce qu’il n’y a pas d’âge limite pour faire le con…

Je connais cette vibration et son nom est ton âme
Ca part de ton for intérieur puis ça te fait frétiller
Tu dois tenir le rythme, le ressentir en toi
Il va te vriller le corps de la tête aux pieds
Vas-y, tortille ta carcasse ! (6)

Yeah !

(1) Dans un monde rêvé où SRV aurait appris la modestie et aurait considéré avec humilité qu’il n’était qu’un héritier putatif des vrais pères du blues.

(2) "Internet Cowboys".

(3) Pourquoi passer par des intermédiaires quand on a la foi du blues ?

(4) Pour autant que les Dieux aient un cœur, ce qui, à ma connaissance, n’a jamais vraiment été documenté.  

(5) Capitaine Sensible ? Pour les tous derniers qui ont encore la référence. I Said Wot !

(6) "Backbone Slip".

Cette chronique est dédiée à feu Raphaël Schraepen, un esthète absolu, qui a écrit en son temps Pas d’oiseau sur les fils, un ouvrage définitif sur la musique dite "dégénérée".

Mille mercis aux relecteurs et relectrices de mes textes. 

Commentaires
Soyez le premier à réagir à cette publication !