
Red Hot Chili Peppers
Unlimited Love
Produit par Rick Rubin
1- Black Summer / 2- Here Ever After / 3- Aquatic Mouth Dance / 4- Not the One / 5- Poster Child / 6- The Great Apes / 7- It's Only Natural / 8- She's a Lover / 9- These Are the Ways / 10- Whatchu Thinkin' / 11- Bastards of Light / 12- White Braids & Pillow Chair / 13- One Way Traffic / 14- Veronica / 15- Let 'em Cry / 16- The Heavy Wing / 17- Tangelo


“L’album de la confirmation”. Pire encore : “l’album de la maturité”. Les formules toutes faites sont légion dès lors qu’on parle de chroniques de disques. Mais y en existe-t-il une plus sournoise que le fameux “album du retour aux sources” ? Plus sournoise, plus pernicieuse, dans le sens où avant même d’être utilisée par la presse spécialisée, elle est bien souvent commanditée par les groupes eux-mêmes (ou leur entourage au sens large), en l’incluant dans les communiqués de presse parfois plus proches d’éléments de langage politiques que de véritables descriptions des œuvres en question. Et c’est d’autant plus valable pour des formations ayant connu les fastes des années 90, et qui résistent bec et ongles à l’idée de se ranger des voitures, des Offspring à Weezer en passant donc par nos Red Hot Chili Peppers.
Et pour ce qui est de ce très attendu 12ème opus, force est de constater que le story-telling du sempiternel “retour aux sources” fut savamment orchestré de la part des Californiens et de leur clique d’attachés de presse et de fans partout dans le monde. La première pierre à l’édifice fut érigée dès le mois de décembre 2019, où à la surprise générale (et surtout celle du pauvre Klinghoffer), la formation annonce le retour du fils prodigue John Frusciante. On passera sur les conditions au mieux discutables de l’éviction du fidèle Klinghoffer, qui sans avoir révolutionné la musique du groupe (ça n’est de toute façon pas ce qu’on lui demandait), a fait le job honnêtement, avec passion et loyauté.
Après avoir beaucoup collaboré ensemble au début des années 2000, Frusciante et Klinghoffer ont vu donc leurs chemins se croiser et surtout s’éloigner. D’ailleurs, en 2009, lors de son déjà second départ, John Frusciante avait été surpris que Klinghoffer puisse accepter si rapidement de le remplacer au sein des Red Hot. Et oui John, tu connais l’adage, “nul n’est irremplaçable”, et pendant que tu expérimentais sur des boîtes à rythmes et au sein de projets qui n’intéressaient presque que toi, Klinghoffer goûtait à son tour aux concerts dans des stades plein, à la notoriété, la célébrité et à la carte Gold Mastercard, tout en nous gratifiant d’un album solo très réussi, sous le nom de Pluralone, dont on a vanté les mérites ici.
Frusciante is back donc. Il n’en fallait pas plus pour faire frétiller (un peu) les aficionados de Blood Sugar Sex Magik et Californication (tout en mettant discrètement un voile sur By The Way et Stadium Arcadium parce que..faut pas déconner quand même). La vieille garde (dont je fais partie) est surprise, voire dubitative de ce retour, mais les Red Hot Chili Peppers ont su aussi, et c’est là tout leur mérite, conquérir une nouvelle fan-base, plus jeune, et pour qui Stadium Arcadium et ses 28 morceaux (erfff) constituent une sorte d’apogée musicale, là où les albums mètre-étalon des Weezer et The Offspring, pour ne citer qu’eux, semblent bloqués (à tort pour la bande à Cuomo) fermement dans les nineties.
Quelques miettes de cette troisième reformation nous sont envoyées début 2020, lorsque Frusciante joue pour la “troisième première fois” avec Flea et Kiedis (Chad Smith étant remplacé par Stephen Perkins de Jane’s Addiction), dans le cadre d’une cérémonie privée. L’interêt principal de cette vidéo résidant surtout dans le fait de voir Frusciante jouer avec son “prédé-successeur” Dave Navarro. Frusciante a le médiator qui le démange et les Red Hot Chili Peppers sont prêts à en découdre sur scène, et donc plusieurs dates de concerts sont annoncées (y compris en France), avant d’être reportées et/ou annulées pour les raisons qu’on connait. Quelques bouts de jam diffusés plus tard avec parcimonie sur les réseaux sociaux, la nouvelle est officialisée : un nouveau disque verra le jour le premier avril 2022, avec aux manettes Rick Rubin, le gourou historique, derrière Blood Sugar Sex Magik et Californication (mais aussi Stadium Arcadium, By The Way et I'm with You, comme quoi, non, tout ce qu’il touche ne se transforme pas en or).
La dream team est au complet, et avec elle les effets d’annoncent pleuvent, prônant le fameux retour aux sources, l’alchimie retrouvée, l’envie de faire le meilleur album possible - oui on l’a déjà dit la dernière fois mais ce coup-ci c’est pas pareil - avec donc un nom et un artwork qui tombe. Unlimited Love et son néon tape à l’oeil qui surplombe Los Angeles, qu’on croirait sorti tout droit d’un film de Baz Luhrmann ; et un single, “Black Summer” qui déboule dès le mois de février, et qui s’est avéré insupportable (de par le matraquage intensif), avant même d’avoir dans les oreilles ce douzième album des américains, et ses dix-sept chansons.
Evacuons d’emblée le premier (gros) défaut de ce disque : sa longueur. 17 chansons. Comme à la belle époque puisque Blood Sugar Sex Magik en comportait tout autant. Sauf que nous ne sommes plus en 1991, et que pour s’enfiler d’une traite un album de 17 titres (1h13 !), il faut être courageux, patient et surtout avoir sacrément confiance dans le produit. Ceci étant, cela n’a pas empêché un Stadium Arcadium (déjà deux fois trop long) de se vendre par containers et de récolter une tripotée de grammys donc..
Ces 73 minutes sont au passage la raison pour laquelle cette chronique arrive si tard sur le site : il a fallu écouter attentivement plusieurs fois ce “Unlimited Love” pour avoir une analyse globale la plus objective possible et ne verser ni dans le catastrophisme absolu ni dans l’optimisme béat. Optimisme dont certains semblent s’être engouffrés avec ardeur, sur le point du seul retour de John aux affaires. Parlons-en justement. Oui, ce musicien a énormément apporté à l’identité du groupe, et ne boudons pas notre plaisir : réentendre son jeu de guitare si caractéristique, à la fois débridé et sucré est une vraie bouffée d’air frais et une sincère réjouissance. Les arabesques funky, les riffs chaloupés, les solos un peu psyché, les choeurs en falsetto si reconnaissables, John Frusciante est resté un excellent musicien, ce dont on ne doutait d’ailleurs pas. L’alchimie entre les instrumentistes est là, indéniablement, et la paire rythmique formée par Flea et Chad Smith est toujours aussi efficace : ça claque, ça slappe, ça groove. Mais ça ne décolle pas.
Et c’est là le deuxième problème du disque. Il ne vient pas tant des musiciens (on s’attardera sur le cas Kiedis plus tard), mais des morceaux (17 pour rappel !). Ça ronronne sévère (ça ronflonne ?). Très vite et trop longtemps. Sur 17 titres, une écrasante majorité semble être sur le même tempo de sénateurs qui déroulent une longue litanie de mélodies. Des mélodies ni complètement ratées ni tout à fait réussies. En un mot : fades ; quand elles ne sont pas parfaitement insipides, comme ce “Let Em Cry”, façon tube de l’été sponsorisé par la dernière marque de jus de fruits à la mode. L’album et les minutes défilent, sans qu’on n’ait une seule aspérité sur laquelle s’accrocher. Pour un pont ou un refrain un peu énervé (celui de “The Heavy Wing” par exemple, chanté, comme par hasard, par Frusciante), combien de titres franchement mous du genou ? Surtout qu’à la longueur du disque s’ajoute la durée de certaines pistes, dont plusieurs dépassent les 5 minutes (”The Great Apes” qui trottine nonchalamment en dépit d’un solo qui montre (un peu) plus de mordant, ou “It’s Only Natural” confondant de mollesse et d’inutilité).
Malheureusement, cette tendance à l’encéphalogramme plat se remarque d’autant plus dans une œuvre de 17 titres, ressassant peu ou prou les mêmes idées dans la structure des compositions (combien de banales “couplet-couplet-refrain-solo-pont”), et où il faudrait redoubler d’idées pour garder l’attention des auditeurs (à plus forte raison quand on promeut ce fameux retour aux sources).
On sursaute bien, un peu, à quelques rares occasions : le temps d’un “Aquatic Mouth Dance” cuivré, vraie franche réussite du disque (et qui aurait pu être une relance pertinente si elle n’était pas placée en troisième position), sur la seconde partie de “One Way Traffic” où Flea mène la barque, sur quelques solo grisant par ici, sur de belles lignes de basse par là, mais le groupe a la fâcheuse prédisposition à s’auto-saborder à cause du véritable dernier problème de l’album : son chanteur. L’habit ne fait évidemment pas le moine, mais difficile tout de même de ne pas trouver le combo moustache-mulet un tantinet ridicule, à un âge où la sobriété est souvent de mise, du moins en matière de look. Et là aussi, pour un Iggy Pop convaincant en frontman torse nu, combien de copies de Steve Buscemi “Fellow Kid” (aka le fameux meme de l’acteur dans la série “30 Rock”) ? Si Kiedis semble refuser de vieillir (l’avantage du look nerd de Rivers Cuomo est qu’il était déjà démodé en 1994), il a manifestement aussi abandonné toute idée de modulation et de variété dans son chant. Pour mouliner des bras torse nu dans les clips il y a du monde, mais pour chanter à peu près juste sans overdubs, on repassera (c’est particulièrement criant sur “Here Ever After”).
On le sait, Kiedis n’a jamais été un grand chanteur d’un point de vue “technique”, mais il atteint ici des sommets de mièvrerie rarement égalés, et trouve même le moyen de gâcher des titres qui auraient pu s’avérer “corrects”. On pense à “She’s a lover” et la fadeur de ses refrains, en dépit de couplets plutôt punchy ou même à “Bastards of Light” qui, sous ses airs de Bee Gees bodybuildés et aux lignes de claviers assez surprenantes, aurait pu être une belle surprise sans cet affreux passage au porte-voix.
Pas la peine non plus de se pencher sur les textes, Anthony Kiedis n’est pas devenu miraculeusement un grand song-writer, et bon nombre de paroles semblent sorties d’un générateur automatique mêlant noms de lieux, prénoms et mots choisis pour leur musicalité plus que pour leur sens (merci Josh Weller). Exemple parfait avec “Poster Child” où l’on croise Richard Hell (qui danse dans un Taco Bell), Judas Priest, Duran Duran, Mona Lisa, Billie Jean ou Justin Bieber (liste non exhaustive naturellement). Et pour continuer le parrallèle avec Weezer, au moins, quand Cuomo name-droppe des artistes dans ses textes, c’est pour leur rendre un hommage honnête et référencé.
Vous l’aurez compris, et pour résumer cette chronique bien trop longue (et par conséquent en phase avec l’album), Unlimited Love est un disque sans saveur, indigeste, sans la moindre once de prise de risques. Et au rayon du rock grand public à l’esprit disons “californien”, difficile de ne pas penser à l’évolution parallèle de Weezer, (qui a sorti aussi son lot d’albums tiède), mais qui semble bien plus sincère dans sa démarche et avec des prises de risques plus aventureuses (Ok Human et son aspect symphonique). Ce douxième disque n’apportera finalement pas grand chose au schmilblick : les anciens passeront leur chemin, là où les plus jeunes y trouveront leur compte, comme ce fût le cas lors des 3 derniers albums.
Mais dans tous les cas, ce fameux retour aux sources est une vaste fumisterie, et la célèbre citation de Nick Cave, (drôle mais éminemment sévère et réciproquement), a de beaux jours devant elle :
"I’m forever near a stereo saying, ‘What the fuck is this garbage?’ And the answer is always the Red Hot Chili Peppers."
À écouter : "Aquatic Mouth Dance", "One Way Traffic", les refrains de "The Heavy Wing".