
Alt-J
Relaxer
Produit par Charlie Andrew
1- 3WW / 2- In Cold Blood / 3- House Of The Rising Sun / 4- Hit Me Like That Snare / 5- Deadcrush / 6- Adeline / 7- Last Year / 8- Pleader


Nombreux furent les curieux charmés par l’éclectisme d’An Awesome Wave, le premier album d’alt-J. Succès à priori imprévisible pour ces anglais sortis de nulle part, mais finalement pas si compliqué à comprendre : il y a déjà l’enrobage d’une part, soit le soin porté aux itérations visuelles de l’univers cryptique du groupe (pochette, clips, le fameux triangle leur servant de nom et de symbole, etc) mais il y a surtout cette audace stylistique, ce talent pour créer des morceaux attrayants et fédérateurs sans se soucier des différentes frontières structurant le monde musical. Cela ne fait pas pour autant d’Alt-J la révolution expérimentale de la décennie, l’essentiel ici restant la mélodie, l’efficacité, l’harmonie … et il ne serait pas idiot de simplement considérer leur musique comme le résultat du fourmillement indie-rock de la fin des années 2000, avec par exemple Wild Beasts ou le Radiohead d’In Rainbows. Il s'agit donc surtout d’emprunts pour le reste : des rythmiques hip-hop par ci, des développements funk ou folk par-là, voire des bizarreries électroniques de temps à autres. C’est bien cette diversité qui va distinguer le groupe de ses contemporains, mais il s’agit également d’un obstacle assez puissant pour quiconque essayant de pénétrer cet univers singulier. En effet, leur musique en devient parfois schizophrène au point de la rendre indicible, hermétique à l’oreille du néophyte, et il faudra donc s’accrocher tant bien que mal aux particularismes vocaux de Joe Newman pour ne pas se voir éjecter de la piste. Les différentes pulsions musicales s’équilibrent pourtant assez bien au sein d’un même titre – pour preuve, les singles "Matilda", "Hunger of the Pine" ou "Tesselate" – mais il faut bien reconnaître que la cohérence n’a jamais été le point fort des albums d’Alt-J. Et si cela semblait s’arranger un peu sur This Is All Yours (bien plus consciencieux et posé que son prédécesseur), on vient sans doute d’atteindre le point de non-retour avec ce Relaxer.
8 morceaux seulement pour une durée totale d’environ 35 minutes, voilà déjà un changement de taille pour le trio anglais qui nous avait habitué à des disques de 13 titres avec intro, outro et courts interludes. On pouvait donc penser que le groupe était décidé à recentrer son propos et à élaguer au maximum afin de produire une œuvre moins éparpillée, plus cohérente justement. Et le premier single "3WW" allait dans ce sens en favorisant les affinités folk du groupe qui tiraient déjà un peu la couverture sur This Is All Yours. Le morceau s’ouvre donc sur un long développement instrumental, celui d’un motif de guitare lent, hypnotique, interprété quasi mécaniquement, par-dessus lequel se posent discrètement percussions et claviers minimalistes. Il en ressort de suite un certain mystère, ou plutôt une certaine curiosité teintée de sensibilité, comparable à celle du parolier découvrant naïvement l’amour et le charme lors de ce voyage initiatique surréaliste. Puis le morceau se dévoile finalement en fable hédonique lors d’un fabuleux couplet chanté par Ellie Rowsell (Wolf Alice), dont le timbre suave se mélange langoureusement aux cordes et aux textures humides du morceau pour un résultat on ne peut plus sensuel. Dans le même ton crépusculaire, "Adeline" est également une forte réussite bien que suivant une forme très linéaire en crescendo. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le crescendo n’est pas forcément un exercice facile : il n’y a qu’à voir ces dizaines de groupes de post-rock incapables de composer un seul build-up de qualité, comme si un bon climax suffisait à faire un bon morceau et que les 10 douloureuses minutes précédant le déluge de guitare final n’existaient que pour accumuler la frustration nécessaire à la réussite de ce dernier. Mais ici, on reste accroché du début à la fin. La première minute intrigue déjà malgré sa simplicité, avec cette guitare étincelante, ce piano glaçant et ce chant délicat qui ferait taire les pires détracteurs de Joe Newman et de sa voix nasillarde. Mais c’est véritablement lorsque l’on découvre l’orchestre et les harmonies vocales mystiques de la suite que l’on se laisse totalement happer par "Adeline", et son ambiance à la fois dramatique, onirique et mélancolique. La production y est très réussie, particulièrement sur les multiples pistes vocales qui jalonnent tout le morceau même si cela n’est plus du tout surprenant de la part de Charlie Andrew, qui s’occupe des anglais depuis leur premier album. Indiscutablement, "3WW" et "Adeline" sont donc deux très belles ballades – sans doute déjà au sommet du répertoire du groupe – et tracent les contours d'un renouvellement artistique bienvenu pour Alt-J.
Malheureusement, c’est ici que s’arrêtera notre enthousiasme, puisque Alt-J n’a pas su rester fidèle à l’esprit de ces deux titres pourtant très prometteurs. Relaxer forme alors un ensemble gravement incohérent, à tel niveau qu’il nous est toujours impossible d’en comprendre la logique après une dizaine d’écoutes. Si "House of the Rising Sun" (une espèce de version alternative du classique de The Animals) et "Last Year" suivent de loin la trajectoire des deux titres précédents, on ne peut pas en dire autant du reste vu que chaque titre part dans une direction complètement différente, que ce soit "Deadcrush" et son beat hip-hop moderne, "Hit Me like that snare" qui donne dans la parodie maladroite de Lou Reed ou bien "Pleader" visiblement écrit comme un chant d'église. Et le pire, c’est que même en se concentrant uniquement sur les qualités intrinsèques de chaque morceau comme s’il s’agissait d’une playlist, cela n’en fait toujours pas un bon disque. On hésite donc souvent entre le décent et l’anecdotique, notamment pour cette reprise de "House of the Rising Sun" sympathique mais tout de même assez oubliable, et pour "Last year" dont la première moitié est tellement ennuyeuse qu’elle en gâche presque sa sublime fin. Marika Hackman – déjà présente sur "Warm Foothills" – y chante avec sérénité le suicide du narrateur ("If it's stones for your pockets, I've collected a few // To hold you down, to hold you down"), ce même narrateur qui vient malencontreusement de plomber les 4 dernières minutes à nous conter sa douloureuse décente aux enfers dans une instrumentation aussi fade que la conscience politique d'un député LREM. Mais il y a également quelques morceaux insupportables, comme "Pleader", qui s’éternise sur ces cœurs lassants dénués de passion ou de mélodie, mais surtout "Hit Me Like That Snare", de très loin la pire composition d’Alt-J à ce jour. Les percussions et le chant faussement irrévérencieux de Joe Newman y sont si douloureux qu’ils vous donneront envie de prendre l'intitulé du morceau au pied de la lettre. Seul le très fun "In Cold Blood" se distingue suffisamment de ce désordre pour espérer s’élever au rang de "Adeline" et de "3WW", mais il faut bien reconnaître qu'il s'agit là d'une redite pure et simple de This Is All Yours : structure folle, clavier cheap, texte cynique, « la la la la » frénétiques, etc.
Toujours cette question : qu’est-ce qu’Alt-J a tenté de faire sur ce troisième album ? Si Relaxer est très clair sur leur envie d'aller de l'avant, il semblerai que les trois jeunes anglais cherchent encore les ingrédients qui définiront leur son pour ces prochaines années. Il en résulte un disque bancal et difficile à écouter, étant donné qu'Alt-J réussi à brouiller les pistes à chaque fois que l'on pense en saisir le concept. Et sa courte durée n'arrange rien : les erreurs prennent bien plus de place, là où les quelques ratés de This is all Yours avaient tendance à s'effacer sur la longueur. Pourtant, Alt-J est encore capable de très belles choses, et "Adeline" ou "3WW" montrent qu'ils sont tout à fait capables d'évoluer sans se détruire. On restera donc attentif quant à l'avenir du groupe, en espérant qu'ils puissent s'en tenir à un concept moins vague pour la prochaine fois. Mais en attendant, retournez plutôt écouter leurs deux premiers disques, bien plus pertinents que ce Relaxer finalement très décevant.
Morceaux conseillés : "3WW" et "Adeline", voire "Hit Me Like That Snare" pour l'expérience.
