
John Frusciante
The Empyrean
Produit par John Frusciante
1- Before the beginning / 2- Song to the Siren / 3- Unreachable / 4- God / 5- Dark/Light / 6- Heaven / 7- Enough of me / 8- Central / 9- One More of me / 10- After the ending


Enfin, le dernier épisode qui clôt la rétrospective sur Frusciante entamée en janvier dernier et l'album Niandra Lades and Usually just a t-shirt.
Un aboutissement, une sorte de graal ou de Boss de fin, avec des vieux démons oubliés, enterrés profondément et surtout définitivement. Voilà ce que peux représenter The Empyrean, aux yeux des amateurs de John Frusciante. Un dixième disque solo qui vient conclure une discographie "conventionelle" de la plus belle des façons. Alors oui, il y aura d'autres productions ensuite, mais axées quasi intégralement sur de l'électronique et de l'acid-house.
The Empyrean sort en janvier 2009 et occupe une place importante dans l'oeuvre du guitariste américain. Une fois n'est pas coutume, Frusciante prend son temps pour enregistrer et produire l'album, lui qui a nous avait habitué à une cadence toute autre.
Et la première chose qui surprend, dès les premières mesures du premier titre, c'est la différence de "son" par rapport à ses efforts précédents. Exit les productions faites à la maison ; nous avons affaire ici à un album enregistré avec bien davantage de moyens. Et l'impression se confirmera tout au long du disque : la production y est importante, patiente, soignée, léchée et prodigieuse.
The Empyrean s'ouvre avec le bien nommé "Before the beginning" et qui d'emblée, assomme l'auditeur avec un titre digne des plus grandes ouvertures d'oeuvres musicales.
Long de plus de 9 minutes, totalement instrumental, il semble être l'illustration sonore parfaite pour le visuel de la pochette, à la fois angélique et mélancolique. "Before the beginning" se fait tour à tour léger, puissant, aérien et aquatique. Et s'il emprunte parfois dans sa construction à la guitare du génial Eddie Hazel de Funkadelic sur Maggot's brain (titre inaugural splendide de l'album du même nom), osons le dire tout haut, on pense également à David Gilmour et certaines de ses pièces progressives ("Shine on You Crazy Diamond", autre chanson inaugurale mythique).
Des lignes de guitares, des arabesques finalement assez différentes de ce qu'il a l'habitude de proposer, mais cela n'est heureusement toujours pas un simple disque de guitariste et Frusciante ne tombe jamais dans le piège d'en faire trop et n'est à aucun moment dans la surenchère.
Cette introduction est un véritable uppercut sonore et visuel pour peu qu'on ait un peu d'imagination, et Frusciante, brouillant de nouveau astucieusement les pistes, enchaîne avec une cover (chose inédite sur ses albums solo) de Tim Buckley, "Song to the Siren", titre folk sixties très repris (par Bryan Ferry notamment) et revisitée ici dans la lignée du premier morceau, à savoir avec la même cohérence sur la prod et l'atmosphère. Des nappes doucereuses de claviers aquatiques, un petit écho dans la voix, un chant des sirènes tout à fait crédible, comme un sas de décompression entre la gifle inaugurale et "Unreachable", second grand passage du disque.
The Empyrean est un concept-album, ce qui explique dans un premier temps les thèmes récurrents et l'homogénéité dans les différentes ambiances proposées, et qui est à la fois une histoire musicale et vocale, et qui doit selon Frusciante "être écouté tard dans la nuit, dans un salon plongé dans le noir".
Et pour l'avoir testé dans ces conditions, le bougre a raison, et on ne peut qu'être admiratif du travail sur la production mais bien évidemment aussi sur l'interprétation de Frusciante, qui retrouve au passage son fidèle protégé Josh Klinghoffer (pour rappel futur ex Red Hot Chili Peppers) qui s'occupera de toutes les percussions, de choeurs et de certaines parties de claviers. C'est d'ailleurs lui qu'on retrouve sur la pochette, allongé, semi-enterré et relié par une sorte de liane à John Frusciante, sorte d'ange déchu entre noyade et lévitation.
Et si l'appellation de concept-album peut parfois rebuter dans la compréhension de l'histoire, ici la musique se suffit à elle-même (du moment où l'on écoute les pistes dans l'ordre évidemment). Et si The Empyrean ne contient pas de singles à proprement parler, "Unreachable" n'aurait pas dépareillé comme tête de gondole (abstraction faite de sa durée de plus de 6 minutes et de son absence de refrain..) Une ligne de basse pantagruélique (de la part de Flea, présent sur 4 titres), de l'orgue savamment placé, un énorme travail sur les harmonisations de voix (quel progrès une fois de plus pour Frusciante sur son chant), un solo de guitare qui semble joué sous l'eau (et qui permet cette liaison constante avec l'ambiance du début) et une explosion céleste en guise de fin font de ce morceau un des plus puissants jamais écrits par Frusciante.
Gageons que le parfaitement nommé "Heaven" aurait également les épaules pour faire office de single parfait, quasi mystique, véritable hostie musicale (à écouter au casque par pitié). Les lignes de guitares groovent, la voix en falsetto maitrisée de Frusciante tel un archange christique, sur une assise rythmique remarquable. Tout s'imbrique parfaitement, les effets, les claviers, les violons et cette sensation presque palpable d'assister en direct à la construction d'un puzzle sonore aérien, onirique et qui constitue peut-être le climax de The Empyrean.
Qu'il semble loin le temps des albums enregistrés "à la maison" (Curtains, créé en quasi prise live depuis son salon) ; un temps non-négligeable à été passé en studio par John Frusciante, se muant en une sorte de Brian Eno à la recherche du moindre effet sur les parties vocales et/ou instrumentales. Et si le résultat peut parfois être déroutant, ça n'est jamais créé dans un but démonstratif. Que ce soit les expérimentations vocales en formes de collages sur "Dark/light", compo à tiroirs, entre boites à rythme lo-fi et chant en falsetto, ou sur "One More of Me", c'est à chaque fois dans la ligne directrice de l'oeuvre. Plus aucune trace de l'aspect "bricolage" (et qui soyons honnêtes, faisait aussi le charme de sa musique), mais beaucoup de dentelle, de retouches, de travail de mixage sur les instruments. A noter également l'intervention d'un quatuor à cordes, pour donner encore plus d'ampleur à des chansons comme "One more of Me" ou "Central".
Comme souvent avec Frusciante, zéro promotion sur l'album. Et pourtant tout le monde ne peut pas se targuer d'afficher au casting un ex-Smiths, en la personne du légendaire et trop rare Johnny Marr, qui fait tourner ses fabuleuses guitares sur 2 titres, "Enough of Me", mais surtout "Central", ultime grand moment du disque. Pièce épique de 7 minutes, qui commence par un piano virevoltant, une ligne de guitare floue mais qui se rapproche dangereusement jusqu'à l'entrée de la batterie qui semble presque signifier la fin du monde.
"Central" est un ovni, un de plus dans la discographie de Frusciante, où on parvient une fois encore à discerner chaque strate musicale , parfaitement en place (délectez vous de ce break batterie-piano imparable à 1/3 du morceau) et qui laisse installer un refrain qui tempère l'angoisse du moment, mais qui saura s'effacer devant une seconde partie proprement dantesque, nappée de clairs-obscurs sur fond de solo de guitare dévastateur. Le genre de chanson qui laisse l'auditeur groggy, exsangue, complètement absourdi par la foudre musicale qui vient de tomber entre ses deux oreilles.
"After the ending" et son chant à la Tom Waits vient nous réconforter, nous border, en laissant poindre cette thématique entendue pendant près de 50 minutes, et qui comme un fil rouge, vient refermer le livre The Empyrean.
Une oeuvre qui vient clôturer 10 disques et 15 ans de musique riche, variée, introspective, parfois inégale et dispersée, mais absolument passionnante. Les années noires sont derrière lui, pour de bon, il est un musicien qui n'a plus rien à prouver et ça n'est sans doute pas un hasard si c'est son dernier disque conventionnel. Et s'il n'est pas forcément le meilleur album, il est à coup sûr le plus abouti.