Anekdoten

Au début des années 1990, de jeunes adeptes de rock progressif fortement influencés par King Crimson se mettent à écrire leurs propres compositions sous le titre de King Edward, puis d'Anekdoten. Dans un contexte où le rock progressif n'est plus en odeur de sainteté et n'intéresse déjà plus grand monde, Anekdoten marche comme ses compatriotes d'Änglagård, des Flower Kings et de Landberk à contre-sens dans les pas des grandes figures des années 1970 avec un son résolument vintage.

Prenant place au sein de cette nouvelle vague progressive suédoise, Anekdoten sort deux premiers albums, Vemod en 1993, tournée vers la mélancolie, et Nucleus en 1995, au propos plus vigoureux, tous deux salués à leur sortie par la communauté progressive pour leur qualité. Paru en 1999, From Within reste cependant souvent cité comme l'acte de naissance véritable du groupe suédois après deux albums vraiment très influencés par l'héritage du roi pourpre et des compositions parfois difficiles d'accès. Tout en respectant cette affiliation, le groupe se démarque en effet sur cet album avec un style personnel plus affirmé s'incarnant dans des fresques monolithiques et imposantes où règne une sensation de désespoir froid. Pas de virtuosité spectaculaire dans ce From Within ou de furie irrépressible à la Nucleus, mais des ambiances sombres, des guitares tranchantes, un son de basse distordu par la saturation et une section rythmique massive, le tout propulsé par un mellotron omniprésent qui vient apporter de la consistance mélodique dans un univers particulièrement suffocant.

Cette personnalité ténébreuse s'incarne dans le morceau titre qui ouvre l'album, au riff puissant et tortueux, mâtiné de passages aériens en arpèges et de poussées de mellotron où se pose le chant fantomatique de Nicklas Barker. Le titre "Slow Fire" reproduit ce schéma d'envolées progressives dans une montée en puissance électrisante, tout comme "The Sun Absolute", instrumental sinueux et lancinant. Si certains titres comme "Kiss of Life" ont le mérite d'être plus accessibles, d'autres s’avèrent en revanche particulièrement opaques. Il faudra persévérer pour ouvrir la boite noire de "Groundbound", hermétique au premier abord avec ses développements dissonants à base de stridences de guitares ou encore "Firefly" et sa lourdeur désespérante habitée par des chœurs fantomatiques. Pilier central de l'album, le titre "Hole" (parfois comparé au mythique "Starless" du roi pourpre même si franchement, il n'y a pas photo entre les deux) s'avère particulièrement prenant avec ses poussées de fièvres lyriques et tourmentées avant un passage plus calme et intimiste qui se perd malgré tout dans quelques longueurs conclusives. Enfin, le groupe entrouvre la porte d'une musique plus apaisée et acoustique qu'il embrassera davantage par la suite avec la ballade conclusive "For Someone".

Malgré un sens des contrastes qui n'est pas encore complètement maîtrisé, Anekdoten s'approprie l'héritage de ses glorieux aînés pour en proposer une relecture un peu plus personnelle que sur les albums précédents et de ce fait plus pertinente. Un troisième album qui installe ainsi Anekdoten parmi les grands groupes du rock progressif Suédois, bien que sa postérité soit moindre que celle d'Änglagård, érigé au statut de culte.