
Moron Police
Pachinko
Produit par Sondre Skollevoll et Lars Christian Bjørknes
1- Nothing Breaks (A Port of Call) / 2- Alfredo and the Afterlife / 3- Waiting Around for You / 4- Cormorant / 5- Make Things Easier / 6- Pachinko, Pt. 1 / 7- Pachinko, Pt. 2 / 8- King Among Kittens / 9- Take Me to the City / 10- The Apathy of Kings / 11- Hanabi / 12- Okinawa Sky / 13- The Sentient Dreamer / 14- Giving Up the Ghost


Avant toute chose, je tiens à préciser que cette chronique a été écrite avec le cœur, dans la subjectivité la plus assumée. Mon attachement pour un groupe comme Moron Police n’a de toute façon plus rien de rationnel. Inutile donc de tenter de me faire revenir sur mon jugement par quelque argument que ce soit : Pachinko est selon moi, sans l’ombre d’une hésitation, l’album de 2025 ! Il faut dire que l’opus précédent des Norvégiens, A Boat on the Sea, est de très loin le disque que j’ai le plus écouté ces cinq dernières années. Il s’agit d’une œuvre qui semble avoir été conçue sur mesure pour laisser une empreinte durable ; un album profondément "feel good", sur lequel tout coule de source, qui constitue à la fois refuge et moteur, et qui m’accompagne au quotidien. Autant dire que la disparition du batteur Thore Omland Pettersen en 2022 m’a plongé dans une profonde tristesse, doublée d’une sincère compassion pour ce groupe de potes ayant manifestement perdu bien plus qu’un ami musicien, mais bien un membre de leur famille. Après une telle épreuve, je n’imaginais honnêtement pas le (désormais) trio capable de se relever et de relancer la machine. Quelle joie, alors, d’apprendre qu’un nouvel album était en gestation, et que le talentueux Billy Rymer (The Dillinger Escape Plan) avait accepté d’assurer l’intégralité des sections de batterie. De la résilience naît parfois une force insoupçonnée. Autant le dire d’emblée : le résultat final est tout simplement spectaculaire !
On retrouve globalement Moron Police là où on l’avait laissé sur son précédent album - la parenthèse western proposée sur l’EP The Stranger and the Hightide (2021) restera comme une charmante escapade sans véritable lendemain - avec une musique toujours aussi solaire, entêtante et rafraichissante. À l’image d’un artwork une nouvelle fois généreux et coloré (signé par l’artiste espagnol DULK), le groupe confirme son goût pour l’exubérance maîtrisée. Le titre inaugural "Nothing Breaks" joue ainsi la carte de la continuité, confirmant au passage que le combo scandinave n’a rien perdu de sa vivacité. Le sens de la mélodie demeure affûté, et la capacité du groupe à enrichir ses compositions d’une multitude de détails et de textures sonores aboutit à une musique d’une richesse insoupçonnée, jouant astucieusement sur les contrastes et les changements de tonalité. En témoigne notamment l’usage de cuivres virevoltants sur le très fédérateur "Alfredo and the Afterlife", dont l’approche versatile n’est pas sans évoquer les tout aussi recommandables Thank You Scientist.
Si Moron Police ne s’est jamais imposé de limites d’un point de vue stylistique, on observe ici un penchant plus affirmé pour la pop - agrémentée parfois de quelques élans disco -, un registre dans lequel le groupe évolue comme un poisson dans l’eau. Les Norvégiens enchaînent ainsi les mélodies imparables, capables de happer l’auditeur sans jamais sacrifier l’audace qui fait leur singularité. On pensera notamment au pétillant "Waiting Around For You" dont la qualité d’exécution permet l’intégration naturelle d’un solo de saxophone qui, dans un autre contexte, aurait pu paraitre bien à côté de la plaque. Un morceau d’une évidence désarmante, mais finalement à mille lieues des standards mainstream.
Là où A Boat on the Sea se présentait comme un shoot d’adrénaline concentré en 30 minutes, Pachinko se distingue par une ambition largement revue à la hausse, tant par son format (1 heure sans véritable temps morts) que par son concept : le Pachinko est un jeu d’arcade japonais, quelque part entre le flipper et la machine à sous, dans lequel une multitude de billes métalliques sont projetées aléatoirement dans un dédale générant divers sons et lumières. Une approche tape-à-l’œil et chaotique qui devient ici une métaphore pour un album débordant d’émotions désordonnées, mais surtout porté par l’envie d’en mettre plein les oreilles. L’inspiration est telle que les Norvégiens livrent un véritable petit chef-d’œuvre avec "Pachinko, Pt. 1" : une imposante composition de 11 minutes durant laquelle on ne s’ennuie pas une seconde et qui semble concilier toutes les facettes du groupe. Le combo y enchaine les pépites mélodiques avec une aisance déconcertante, au point de filer des complexes à n’importe quel groupe de pop/rock en quête du son qui fera la différence. Le morceau est tellement solide et inventif qu’il aurait pu constituer un EP à part entière, mais Moron Police en a décidé autrement, préférant offrir un morceau d’anthologie où l'excellent Billy Rymer déploie toute l’étendue de son répertoire technique, apportant une explosivité supplémentaire tout en s’appropriant le style du regretté Thore Pettersen. On appréciera également les différents clins d’œil disséminés, comme cette reprise de la ligne mélodique de "Captain Awkward" (issu du précédent album). Je pourrais consacrer une chronique entière à ce morceau, mais je conclurai finalement en chantonnant une énième fois : "I packed my bags and drove to San Francisco".
L’album ne se résume évidemment pas à ce seul coup d’éclat, et chaque morceau, aussi différent soit-il, parvient à atteindre sa cible. Moron Police déploie à ce titre une palette stylistique particulièrement large : de la ballade épurée "Make Things Easier" à la synthpop nappée de guimauve de "Okinawa Sky", en passant par le très déjanté et déstructuré "Pachinko, Pt. 2", évoquant par moments Haken. Le groupe varie ainsi les plaisirs tout en conservant une remarquable cohérence d’ensemble. L’excentricité demeure bien présente, mais elle apparaît ici mieux dosée qu’auparavant. Le kitsch pleinement assumé de "King Among Kittens" (attention aux yeux si vous regardez le clip) précède ainsi sans dissonance le magnifique "The Apathy of Kings", ce dernier marquant un nouveau sommet de classe grâce à une approche nettement plus épique et progressive.
Pachinko est avant tout un album particulièrement touchant pour qui saura tendre l’oreille, dissimulant sous une jovialité de façade une mélancolie sincère et authentique. L’exemple le plus probant se trouve sur "Cormorant", dont la dernière partie reprend le thème "I am lost without you" (issu de "The Phantom Below" sur A Boat on the Sea) dans une approche symphonique gagnant encore en intensité grâce à une rythmique en blast beat aussi inattendue que salvatrice. Comme quoi, les plus belles émotions n’ont pas forcément besoin de mots pour être partagées. Les amateurs du groupe ne manqueront pas non plus d’être touchés en apprenant que c’est la batterie de Thore qui résonne sur l’outro de "Giving Up the Ghost", un morceau qui conclut l’album de fort belle manière. À cela s’ajoute le soutien manifeste de la scène locale, avec notamment la participation de Jon Ivar Kollbotn (Major Parkinson) et d’Eivind Strømstad (Meer), ainsi que la contribution d’une multitude de musiciens venus enrichir la palette instrumentale. Autant d’éléments qui font de Pachinko un album véritablement à part dans la discographie de nos policiers abrutis.
Vous l’aurez compris, ce quatrième album de Moron Police est une réussite totale. Le groupe norvégien a su puiser dans la peine la force d’avancer et de se surpasser. Le résultat est un Pachinko aussi généreux que singulier, parfois exubérant mais surtout profondément humain. Porté par une inventivité constante et une énergie toujours aussi contagieuse, le disque s’impose comme un point culminant dans la discographie de l’un des groupes les plus attachants et atypiques de la scène progressive actuelle.
A écouter : "Pachinko, Pt. 1", "Cormorant", "The Apathy of Kings"






















