
Jethro Tull
Thick as a Brick
Produit par Terry Ellis
1- Thick as a Brick part 1 / 2- Thick as a Brick part 2


Au regard de l'initiative ayant conduit à la composition de Thick as a Brick, Ian Anderson peut paraître susceptible, un peu moqueur, et ambitieux (sans connotation péjorative). Susceptible puisque si la critique d’Aqualung avait été particulièrement favorable, l’interprétation de l’opus en tant que concept-album ne passa pas : malgré tous les signes qui peuvent faire pencher de ce côté, il n’était pas question ici de ce genre d’œuvre. Un peu moqueur car Anderson reprit cette remarque à son compte pour sembler dire : "Vous voulez à tout prix un concept-album ? On va vous le fournir". Ambitieux parce que l’objet qui en résulte est un bijou incroyable.
C’est donc à partir d’un pied-de-nez qu’est venu au monde un des chefs-d’œuvre du rock progressif, et que Jethro Tull s’inscrivit complètement dans le genre auquel il est souvent associé. Pour un temps seulement car, bien qu'elle commence sur une entrée en fanfare, la relation du groupe avec le rock progressif fut très douloureuse.
Thick as a Brick est donc un album-concept autour de la figure de Gérald Bostock, un jeune garçon ayant écrit un poème (duquel les paroles en seraient issues) qui aurait été censuré pour des termes scabreux. On se retrouve presque au XVIIIe siècle, quand on inventait un auteur imaginaire pour éviter tout problème avec les autorités. "J’ai détaché ces premières lettres, pour essayer le goût du public ; j’en ai un grand nombre d’autres dans mon portefeuille, que je pourrai lui donner dans la suite", disait Montesquieu en introduction aux Lettres persanes. Tout est fait pour renforcer la crédibilité du récit, jusqu’à la pochette qui invente une première page d’un périodique tout aussi fictive.
Mais attention, le groupe ne fait pas les choses à moitié. Quand les piliers du rock progressif pondent des morceaux de plus de vingt minutes parfois, Jethro Tull pousse cette logique à son maximum : un album, un morceau. Seules les limites techniques obligent cette pièce de plus de quarante minutes à être divisée en deux parties, pour les faces correspondantes.
Il est clair alors qu’on ne peut pas raisonnablement décrire une telle œuvre, ce serait non seulement difficile, mais en plus absurde. Essayons quand même d'en dire quelques mots. Tout d’abord, pour ceux qui aiment le groupe, l’immersion sera plus qu’aisée. L’album reprend les mêmes directions stylistiques que ses prédécesseurs : la flûte se tire la part du lion, les lignes de guitare sont excellentes, les ambiances bien travaillées, le côté hard-rock mêlé au folk est toujours présent. Le travail mélodique et harmonique est conséquent et impressionnant, on découvre en permanence de nouvelles perles, de nouveaux moments de grâce. Deuxièmement, Jethro Tull ne tombe pas dans les travers du genre. L’œuvre est variée, sans longueur, les transitions sont naturelles et maîtrisées, l’ambition ne rogne pas sur l’accessibilité.
A partir de là, inutile d’en dire plus : on ne peut atteindre la perfection de cet album avec des mots qui sonneraient creux quand Thick as a Brick sonne divinement bien. C’est une expérience fascinante, un voyage extraordinaire.
Ecoutez Thick as a Brick et vous comprendrez pourquoi Jethro Tull est devenu une référence majeure du rock progressif. Pourquoi le groupe est magistral, pourquoi il est entré dans l’histoire. C’est ici le sommet de leur carrière, au moins pour la première moitié des années 1970 (il y aura une autre période faste dans leur ère folk). Et pour ceux qui ont aimé Gérald Bostock, sachez qu’il connaîtra d’autres aventures sur Thick as a Brick 2 (2012) et Homo Erraticus (2014), deux très bons albums solo d’Ian Anderson.