
The Black Keys
Let's Rock
Produit par Dan Auerbach, Patrick Carney
1- Shine A Little Light / 2- Eagle Birds / 3- Lo/Hi / 4- Walk Across The Water / 5- Tell Me Lies / 6- Every Little Thing / 7- Get Yourself Together / 8- Sit Around And Miss You / 9- Go / 10- Breaking Down / 11- Under The Gun / 12- Fire Walk With Me


On avait laissé les Black Keys en bien mauvaise posture en 2014 avec un Turn Blue mollasson et décevant qui ne faisait pas honneur à leur brillante discographie. À l’aune de ce 9e album, il est désormais licite de segmenter la carrière du duo Auerbach-Carney en trois partie. La première, réjouissante, correspond grosso modo à leurs débuts en duo garage blues, avec en point d’orgue le brillant Rubber Factory mais une œuvre globalement inattaquable à ce stade. La seconde marque un éloignement de la formule guitare-batterie, une complexification formelle mais aussi un affinement du songwriting sous la houlette de Danger Mouse (arrivé avec Attack and Release), ponctué en particulier de l’excellent Brothers qui réalise le trait d’union idéal entre tradition et modernité, entre rock pour initiés et conversion des masses. À cette époque, les Keys jouent encore dans des salles assez restreintes (cf le live report de Nantes troussé par votre serviteur en 2011). Puis vient la troisième période que l’on pourrait qualifier de dégringolade mainstream, avec tout d’abord le “breakthrough album” El Camino, certes enthousiasmant et bourré de qualités mais déjà pas exempt de défauts (que l’on n’avait pas manqué de relever sur Albumrock, d’ailleurs), puis les deux franches désillusions Turn Blue et désormais ‘Let’s Rock'.
Quoi de neuf ici ? Pas grand chose, si ce n’est qu’on pensait vraiment que Dan Auerbach et Patrick Carney allaient tirer les leçons de l’accueil tiède réservé à leur précédente livraison, qui avait certes le mérite d’explorer d’autres horizons plus psychédéliques mais qui peinait à maintenir leur songwriting à un niveau décent. Cinq années ont passé (ce qui, pour eux, s’avère énorme), les deux hommes ont visiblement eu quelques accrochages plus ou moins houleux à force de se côtoyer sur la route, Carney a été victime d’un accident de surf assez sévère sur une plage de Saint Barth qui l’a longuement empêché de jouer de la batterie. Auerbach en a profité pour sortir un second disque solo (Waiting On A Song, aussi sympathique qu’anecdotique) et monter le side project The Arc (avec un album, Yours Dreamily, pas plus mémorable) tandis que son collègue batteur a accompagné le comeback de Michelle Branch (qu'il a fini par épouser) tout en tenant les fûts des Rentals de Matt Sharp quelques temps plus tôt. Et voilà que l’arrivée de ‘Let’s Rock’ en a réjoui plus d’un. On avait cette déclaration d’intention cool (“Faisons du rock”, what else?, même s’il s’agit plutôt d’un contre-emploi totalement assumé), le retour à une certaine forme d’humour cool (le clip bourré d’autodérision de “Go” qui se moque de leurs “problèmes de couple”, la vidéo assez hilarante de leur vraie-fausse masterclass) et un premier single, “Lo/Hi”, qui, loin de casser trois pattes à un canard, semblait renouer avec l’entrain cool d’El Camino. Las, on est loin du compte.
Quoiqu’indéniablement cool, ‘Let’s Rock’ brille surtout par son manque total de prise de risque, mis à part peut-être le recours assez systématique aux backing vocals féminins. Douze titres, trente-huit minutes, et rien qui ne suscite davantage qu’un vague intérêt poli. L’absence de Danger Mouse, systématiquement associé aux Keys sur les quatre disques précédents, peut-elle expliquer ce résultat en demi-teinte ? Sans doute, mais ce n’est pas la seule explication. À la base, on sait que les Black Keys ne sont pas de brillants faiseurs de chanson. Ce sont d’excellents musiciens, fermement ancrés à de solides racines blues, et qui compensaient jusqu’ici leur déficit en songwriting par une attitude irréprochable et une passion communicative à toute épreuve. On se doutait alors que Brian Burton avait certainement joué un rôle significatif dans l’écriture de leurs récents tubes, mais on notait déjà un gros vide dans le disque précédent. Ici les Keys ronronnent mais tournent à vide. On songe à de vagues réminiscences d’El Camino ayant perdu toute saveur (“Eagle Birds” et “Fire Walk With Me”, auto-plagiats forcés et/ou neurasthéniques de “Lonely Boy”, ou encore le plus réussi “Get Yourself Together”, bien troussé et maîtrisé) tandis que leur coolitude se regarde un peu trop le nombril : songwriting en berne (“Tell Me Lies”, au refrain navrant), ballades bluesy rebattues et sans grand intérêt (“Walk Across The Water”), le constat est amer. Heureusement que quelques riffs sympathiques viennent rehausser le niveau (la jolie trouvaille syncopée de “Shine A Little Light”, la jolie progression ascensionnelle de “Lo/Hi”), ces quelques hits cools apportant tout de même un réel plaisir d’écoute. On retrouve un peu des anciens Keys sur le motif acide de “Every Little Thing”, même si les guitares riches en larsens servent surtout à jouer de contraste avec un titre funky tranquille là encore assez faiblard au niveau de l’écriture, mais l’enrobage sauve les meubles de justesse. La seconde moitié de ‘Let’s Rock’ se montre d’ailleurs nettement en retrait, malgré un “Go” un peu nigaud quoique suffisamment efficace pour redresser un temps la barre. On oubliera assez facilement le so country “Sit Around and Miss You” (pour le coup un peu trop bardé de chœurs), l’irrégulier “Breaking Down” qui souffle un timide chaud et froid ou encore le plan plan “Under The Gun”... tant à ce stade de l’écoute on a l’impression d’avoir déjà dix fois entendu les mêmes accords, les mêmes arrangements, les mêmes intonations, les mêmes ficelles. ‘Let’s Rock’ n’est pas un mauvais album, loin de là, mais c’est un disque trop facile, trop redondant et comportant trop peu de titres remarquables pour qu’on ait envie d’y revenir, peinant à susciter d’emblée l’intérêt et finissant par lasser au bout d’une dizaine d’écoutes. À un tel stade, on se demande vraiment comment les Black Keys seraient capables de redresser la barre à l’avenir...
