
Ursular
Preta
Produit par
1- Siren / 2- Malediction / 3- Livores / 4- Golem


Tous les genres musicaux ne sont pas absolument égaux dans leur capacité à innover : certaines caractéristiques qui leurs sont propres les rendent plus ou moins perméables à l’évolution – comme s’il y avait une sorte de darwinisme esthétique. Il semble que le Doom soit sensiblement confronté à cette problématique tant ses attributs sont rudimentaires – riff pachydermique et longues compositions aux variations mineures et progressives. Or, les Berlinois d’Ursular apportent une belle contradiction aux considérations précédentes avec leur premier album, Preta, fruit d’une longue gestation, précédée par des sorties moins ambitieuses dans leur forme depuis 2018.
À travers quatre longues compositions lancinantes, mystiques, ésotériques et hypnotiques, le combo parvient à mettre en place un univers tantôt onirique, tantôt cauchemardesque, un monde interlope auquel renvoie la magnifique créature de la sublime pochette, censée représentée un "preta", un mauvais esprit tiré de la mythologie hindouiste, être tourmenté aux vices insatiables qui le poussent à hanter l’humanité. Sur le plan visuel, on pensera au faune du Labyrinthe de Pan (2006), dont la nature, bonne ou mauvaise, est indéterminable – ou du moins, ce n’est pas dans ces termes moraux qu’il faut apprécier cette créature, de même que les pretas ne demandent qu’à être sauvés, et que leur représentation sur la pochette est à la fois solaire et sélénite.
Ces territoires intermédiaires, purgatoires pastoraux, se dessinent lentement à travers les notes cristallines et le chant féminin de "Sirens", premier rituel durant lequel s’imposent petit-à-petit les puissantes guitares et le registre doom. Le saxophone, pièce maîtresse du dispositif (Ursular se plaît à parler de "saxodoom" pour qualifier sa musique) peut aussi bien gronder d’une puissance monstrueuse qu’il peut faire preuve de finesse dans une perspective orientalisante. Ces mêmes contorsions ouvrent "Livores", incantation a priori bien plus Heavy, jusqu’à ce qu’elle rejoigne des contrées apaisées et embrumées par la basse et les notes de guitare éparses – pour mieux retourner vers une brutalité plus assumée. Un sens du contraste qui renvoie à nouveau à ces esprits et territoires liminaires.
Les pretas se meuvent dans un espace où semble régner une lenteur absolue, celle de leur "Malediction", où le saxophone et le chant déploient un psychédélisme aux tonalités graves et boisées, ou de "Golem", la pièce la plus étendue et par ailleurs très réussie, où les variations sont bien mises en relief et où l’on notera la présence surprenante (mais à propos) du chant diphonique
Si l’extraordinaire pochette est la porte par laquelle nous sommes entrés dans le monde de Preta, difficile de dire avec quels nous sommes sortis de cet univers construit d’une main de maître au son du saxodoom. D’ailleurs, en sommes-nous vraiment sortis ?
À écouter : "Sirens", "Golem"