
Edwyn Collins
Losing Sleep
Produit par Edwyn Collins, Sebastian Lewsley
1- Losing Sleep / 2- What is my Role ? / 3- Do it Again / 4- Humble / 5- Come tomorrow, Come today / 6- Bored / 7- In your Eyes / 8- I still believe in you / 9- Over the hill / 10- It dawns on me / 11- All my days / 12- Searching for the truth


Souvenez-vous, l'année 1995 : "A girl like you", est sur toutes les radios, dans toutes les compilations de l'époque (les "Reservoir Rock" que l'on a tous eu sur nos étagères), permettant enfin à Edwyn Collins de toucher le jackpot après des années de galère, que ce soit en solo, ou au sein du groupe dont il était le leader au début des années 80, Orange Juice. Si les albums du groupe ont une image "culte" de Pop indépendante pour toute une génération de formations britanniques, ils n'ont jamais réussis à atteindre des scores de ventes honorables.
D'ailleurs, l'artiste écossais le confie depuis quasiment 30 ans, l'album Gorgeous George (avec "A girl Like you"), était sa dernière tentative de percer dans les charts, sans quoi il se serait cantonné à la production d'autres musiciens. Fort heureusement, les planètes étant alignées au moment de la sortie du single, Edwyn Collins toucha enfin le coeur des gens, et des royalties par containers, tant la chanson fut utilisée et matraquée dans tous les sens.
Depuis, et bien pas grand chose. Du moins médiatiquement, puisque le chanteur natif d'Edimbourg a continué de sortir des disques solo, I'm not following you en 1997 ou Doctor Syntax en 2002, dans l'indifférence générale ; aucune de ses compositions ne parvenant à atteindre la puissance et l'impact de son tube de toujours.
Edwyn Collins, pour une écrasante majorité du grand public, reste donc à tout jamais l'homme d'une chanson, le fameux "One hit Wonder" (alors que pour avoir réécouté Gorgeous George très récemment, "A Girl Like you" est l'arbre qui cache une forêt dense et très intéressante).
Et puis il y a cette interview radio tout ce qu'il a de plus banale, à la BBC le 18 février 2005. Il confie être un peu fatigué, avec quelques vertiges, mais mets ça sur le compte d'un léger surmenage ou d'une hypothétique intoxication alimentaire. 2 jours plus tard, son épouse, Grace Maxwell le retrouve gisant, inanimé dans leur domicile. Edwyn collins vient de faire une première hémorragie cérébrale, avant d'en faire une seconde peu de temps après sa prise en charge à l'hôpital de Londres. Le pronostic vital est alors engagé, et dans le meilleur des cas, des séquelles sont envisagées, sur un plan neurologique et physique.
S'en suivent des mois de rééducation, avec d'infimes mais constants progrès chaque jour, et malgré un début d'hémiplégie du côté droit et de très sérieuses difficultés d'élocution, Edwyn Collins s'accroche, à force de courage, d'abnégation et de soutien sans faille de son épouse, dont le nom est un des rares mots qu'il parvient à prononcer lors de son séjour à l'hôpital.
L'excellent documentaire "Edwyn Collins : Home Again" en 2007, avec Alex Kapranos des Franz Ferdinand en voix off, permet de suivre ses progrès dans sa convalescence post hôpital avec en point d'orgue la sortie de l'album Home Again dont l'enregistrement est antérieur à son double AVC.
Losing Sleep, lui, sort en 2010, et c'est donc l'oeuvre d'un miraculé, presque littéralement. Un homme au bout du tunnel, qui a vu cette "lumière" poindre, les deux pieds au bord du précipice sans fin et qui pour une explication échappant à toute rationalité, a pu revenir de la-bas, non sans payer un lourd tribut. Edwyn Collins, avant d'en arriver à cet impossible album, dû réapprendre tout un tas de gestes anodins parmi lesquels marcher, parler, se lever, etc. C'est dire donc si l'éventualité même d'avoir une nouvelle vie artistique relève alors de l'utopie quasi fantasmée.
Et ne nous y trompons pas, si Losing Sleep est un petit miracle, de par sa genèse, c'est un également un formidable disque d'un point de vue purement musical. Et si on pourrait légitimement craindre un aspect voyeur, larmoyant pour émouvoir l'auditeur, il n'en est absolument rien.
Dès le titre inaugural, le très classieux "Losing Sleep", le ton est donné : batterie binaire, cuivres, choeurs "hou hou" ultra enjoués, et qui contrastent avec des paroles pour les moins assez lucides sur ce qu'a été l'existence du chanteur Ecossais durant cette sombre période.
"I'm losing sleep, I'm losing dignity
Everything I own is right in front of me
And it's getting me down, I'm losing sleep
I'm holding on, I'm insecure
About my life, about my work
But now I know the things I hold
Are the things I miss about my life"
"Je perds le sommeil, je perds ma dignité
Tout ce que j'ai est devant moi
Et ça me fout en l'air, je perds le sommeil
Je m'accroche, je doute
sur ma vie, mon travail
Mais je sais maintenant que ce à quoi je tiens
sont les choses qui me manquent le plus"
Mais l'atmosphère globale et les arrangements sont tellement spontanés qu'aucun passage ne sombre dans le pathos, alors qu'il aurait été très facile de tirer sur cette corde là.
La volonté de Collins pour l'enregistrement de "Losing Sleep" était claire : ne pas tergiverser, juste "jouer" et boucler chaque chanson en une journée. Et pour cela, il s'entoure de collaborateurs aussi fidèles que prestigieux : Alex Kapranos, avec qui il partage l'excellent "Do It Again" aux refrains typiquement british, quelque part entre Supergrass et Franz Ferdinand.
On retrouve aussi sur "Come Tomorrow, Come Today" Johnny Marr, guitariste des Smiths qui multiplie les featuring comme Morrissey collectionne les polémiques. Mais ce sont pas les "guests" les plus connus qui offrent les meilleurs moments.
La première vraie réussite arrive avec "What is my role", et sa basse ronflante qui s'instillera à n'en pas douter, durablement chez vous . Au delà de son texte, étroitement lié au questionnement de Collins alors qu'il était en rééducation, cette chanson est un vrai "tube", avec des mélodies de guitares à la R.E.M et une ligne de chant très identifiable, que ce soit celle de Collins ou de son partenaire Ryan Jarman, chanteur et guitariste de The Cribs, groupe d'indie-rock britannique (ayant compté Johnny Marr dans ses rangs).
Malgré des paroles forcément imprégnées par son accident et de ses conséquences, Edwyn Collins propose un véritable album de pop, au sens noble du terme : soignée, racée, pleine de trouvailles, notamment dans sa seconde partie.
Une chanson comme "I still believe in you", toujours avec Ryan Jarman, navigue à la frontière de la pop et du rock, simple, directe, tout en étant bourrée de petits détails qui font mouche, que ce soit dans les fills de batterie, les gimmicks de guitare ou les refrains à deux voix.
Losing Sleep se termine sur deux ballades assez à part dans le paysage du disque, aussi lumineuses que touchantes, avec un énorme coup de coeur pour "All my days", vrai petit chef d'oeuvre guitare-voix, sans arrangements, sans fioritures, avec la voix fragile et chevrotante d'Edwyn Collins.
Evidemment, l'écoute de l'album sans connaitre le contexte autour n'a sans doute pas le même impact, ni le même interêt. Car si Collins est un miraculé, nous l'avons dit plus haut, ses deux hémorragies cérébrales ne l'ont pas laissé sans séquelles, que ce soit son hémiplégie ou son élocution devenue difficile. Oui, ses problèmes de diction s'entendent, quasiment d'un bout à l'autre des 12 pistes. Mais plutôt que de proposer des bouts de phrases façon puzzle de 1000 pièces à reconstituer derrière la console, le choix a été d'offrir quelque chose de "vrai".
Et on ne peut que saluer cette volonté de transparence , qui ne fait que rajouter de l'authenticité à ce très bel album, véritable miracle en forme d'une leçon de vie de la part d'un artiste qui mérite bien plus que le simple qualificatif de "One hit wonder".