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Les dix albums de rock préférés de Raphaëlle


Raphaëlle, le 09/04/2020

Ce que cette liste n'est pas


Annonçons tout de suite la couleur pour qu'il n'y ait pas de malentendu: ceci n'est pas un classement des meilleurs albums de toute l'histoire du rock. Pour cela, il est recommandé de se tourner vers le livre qui fait foi en la matière, la discothèque parfaite de l'Odyssée du rock, par Gilles Verlant et Thomas Caussé. De nombreux dossiers sur Albumrock ont tenté des classements en tout genre et puisque vous voilà confinés avec une connexion internet et pas grand-chose à faire de vos journées, on ne saurait trop vous suggérer d'aller explorer nos archives. Oui, ceci était une page de publicité.


Au diable la bien-pensance de la critique rock, voici la liste imparfaite, subjective, critiquable et hautement personnelle, des albums rock particulièrement chers à mon coeur, qu'ils aient bouleversés ma conception de la musique, qu'ils m'aient fait pleurer à chaudes larmes, qu'ils m'aient donné envie de tout casser dans mon salon ou de rire aux éclats.


N'ayant jamais eu la prétention d'être une défricheuse, vous constaterez que la liste reste mainstream: de la valeur sûre, quasiment 100% britannique... Cependant, ces albums ne sont pas toujours là pour les raisons qu'on croit. Bonne lecture, et surtout: stay home, stay safe.

Placebo, Sleeping with ghosts (2003)


Quand on est né en 1990 et qu'on était ado dans les années 2000, rien n'existait pour démocratiser la musique à grande échelle, à part deux vecteurs: MTV et la radio. Internet commençait à devenir un vecteur puissant de diffusion musicale, mais il fallait savoir chercher: Spotify et ses redoutables algorithmes n'avaient pas encore été crées.


MTV était un média de masse, diffusant des clips tout droit sortis des charts US: le clip était d'ailleurs encore un puissant produit de promotion, flirtant toujours avec les limites du bon goût et de la provocation. Les singles de Greenday, Limp Bizkit et consorts tournaient en boucle et faisaient jeu égal avec le dernier Eminem ou Destiny's Child. Les parisiens étaient suffisamment chanceux pour avoir une radio dédiée toute entière au rock: Ouï FM. Quand on n'avait ni grand frère ni grande soeur et que les parents avaient rangé les CD de rock dans un tiroir pour ne plus jamais les en sortir, Ouï FM était l'unique moyen d'écouter de la musique de qualité. Et lorsque le titre qui tournait en radio passait aussi en clip sur MTV, le lavage de cerveau était inévitable.


Un bon exemple de promotion optimisée est "The Bitter End", le premier single ultra efficace de Sleeping with Ghosts, le quatrième album studio du groupe Placebo. Porté par un clip léché, sexy mais tout public, taillé pour la FM avec sa batterie martiale et son refrain entrainant, le titre constitue une charnière de ma vie musicale. Pour une ado de 13 ans biberonnée à Britney, il y a un avant et un après "The Bitter End". Lorsque j'ai enfin réussi à me faire offrir l'album, malgré les réticences parentales qui comprenaient bien mieux que moi le jeu de mot douteux du titre, la première écoute fut une véritable épiphanie.


Ce n'est peut-être pas le meilleur de Placebo (on peut lui préférer le toxique Meds, l'éthéré Black Market Music, le rageux Placebo... bref tous les autres albums), mais il a bien résisté au temps. "Bulletproof Cupid", qui ouvre l'album, est une magistrale démonstration de force et une réponse sans paroles aux interrogations métaphysiques d'une ado qui a envie de tout casser sans bien savoir pourquoi (spoiler alert: pour rien, c'est juste ce que l'effet que ça fait de devenir adulte). Un tsunami de guitares saturées, une batterie qui ne laisse aucun répit, un ouragan de violence expiatoire, le tout sans un mot.


Outre le premier titre pré-cité, l'album recèle de pépites qu'on se surprend à redécouvrir avec le temps: la fantastique ligne de basse de "English Summer Rain", parfaite introduction aux joies de la musique électro des années plus tard, la poésie désanchantée de "Sleeping with Ghosts", la frappe de la batterie sur "Plasticine". D'autres titres de l'album sont toujours d'une efficacité redoutable près de 20 ans (déjà!) après la sortie de l'album: "Special Needs", "Protect Me From What I Want" et la déchirante "Centrefolds".


A retenir: "Plasticine"

Arctic Monkeys, Whatever people say I am, that's what I'm not (2006)


A la moitié des années 2000, Internet a semblé tenir ses promesses de démocratisation; plus besoin d'encyclopédie, le savoir était là, à portée de main. Ainsi allait de même pour la musique: Myspace avait révolutionné la découverte de nouveaux groupes. C'était avant les algorithmes qui enferment dans une bulle, on croyait que tout était possible.


La promotion de quatre gars de Sheffield a eu suffisamment le nez creux pour surfer sur la vague Myspace en faisant des Arctic Monkeys les premiers artistes découverts sur Internet. Peu importe la réalité historique, car soudain tout le monde ne parlait plus que d'eux. Dans une Angleterre toujours angoissée à l'idée de perdre sa couronne de Royaume du Rock, surtout depuis la rébellion venue des Strokes outre-Atlantique, les Arctic Monkeys ont fait figure de sauveur de la nation.


Le single phare "I Bet You Look Good On The Dancefloor" déboule en 2005 et la France n'est clairement pas prête: ni pour l'intro tout en guitare échevelée avec solo au bout de 25 secondes, ni pour l'accent au couteau de Alex Turner et surtout pas pour les paroles, incompréhensibles pour n'importe quel français éduqué à ânonner que Brian is in the kitchen.


Plus que les mélodies, somme toute assez classiques quoique bien troussées, ce sont les textes qui ont distingué Arctic Monkeys de toute la faune environnante. Il faut écouter le disque le nez dans le livret pour comprendre l'essence même de l'âme britannique: un soupçon de morgue et une bonne dose de second degré.


Certes, l'album a mal vieilli dans son ensemble: il n'a pas encore la complexité et la richesse musicale que les livraisons suivantes exploreront. Il est brut, nu, des guitares, une basse, une batterie et c'est tout. Il faut le prendre titre par titre pour apprécier sa nervosité et sa malice: pubs peuplés de losers ("Fake Tales of San Francisco"), boites craignos où les filles sont trop maquillées ("Still Take you Home")... Mais alors, quel rapport avec ma propre expérience? Comme le clame la première ligne de l'album ("Anticipation has the habit to set up you/For disappointment and evening entertainment"), qu'on vienne des banlieues des villes industrielles du nord de l'Angleterre ou de la Ville des Lumières, à seize ans tous les adolescents testent les mêmes sensations grisantes de liberté, un parfum d'alcool cheap dans l'air.


A retenir: "Still Take You Home".

Supergrass, Road to Rouen (2005)


Troisième entrée dans la liste et on reste toujours autour des mêmes fondamentaux: toujours en plein dans mon adolescence, toujours un fleuron du rock britannique et toujours découvert sur Ouï FM.


De quoi est fait un bon album de rock, après tout? Sa remarquable cohérence, son travail d'expérimentation sonore, sa rage bruyante, son exubérance joyeuse, ses textes ciselés aux mille interprétations enchevêtrées? Road to Rouen, le cinquième album studio de Supergrass, se taille sa place dans cette liste parce qu'il est intemporel.


Le single "St. Petersburg" a beaucoup tourné sur OuïFM lors de l'année 2005 et je n'avais pas cherché à aller voir plus loin. Il a fallu attendre les joies de Spotify et ses albums à portée de clic, pour que je découvre l'ensemble du tableau.


Lorsqu'il enregistre cet album, dans un studio en Normandie, le groupe est au plus mal: la mère du chanteur vient de décéder et le batteur a des soucis avec les tabloids (un passage obligé pour tout artiste qui se respecte outre-Manche..). Est-ce que pour autant ils enregistrent un album crépusculaire, tout en dépression à la Leonard Cohen? Eh bien non, pas du tout. D'ailleurs, si je ne vous avais pas parlé de ce contexte, vous ne l'auriez jamais deviné, sauf à prêter une oreille attentive aux paroles.


Cet album est bouleversant car il raconte le deuil et l'envie de vivre qui reprend le dessus. Les textes sont tout sauf gais, mais la mélodie tisse son chemin vers la lumière, comme si malgré eux, la musique les avaient consolés (la très efficace "Kick in the Teeth", qui fait le lien avec leur discographie précédente, ou la magestueuse ouverture de "Tales of Endurance").


Ne nous y trompons pas: le joyau de l'album est "St. Petersburg" et son mantra tout en émotion contenue: "It's time to make a move on". Les violons soyeux forment un écrin protecteur, qui apaise la colère de celui qui voudrait enfin avancer. Rarement a-t-on chanté le deuil avec autant de pudeur et de délicatesse.


A retenir: "St. Petersburg"

Travis, 12 Memories (2003)


L'histoire de la musique est cruelle. Prenez les groupes de pop britanniques Travis et Coldplay. Les premiers sont écossais et ils ont triomphé en 2001 avec l'imparable "Sing". Les seconds leur ont emboité le pas en 2003 avec "In My Place". A priori, pas grand chose ne les distinguait: ils avaient la même propension à écrire des mélodies pop délicates.  Fran Healy, le leader de Travis, ne s'y est pas trompé et fait à Coldplay le procès de de l'artiste qui a trahi ses idéaux pour conquérir les foules. Eux, au contraire, auraient choisi de rester fidèle à leur ADN, quitte à ne plus coller à l'air du temps.


C'est ainsi que démarre la campagne de réhabilitation de Travis. Je ne vous cite pas The Invisible Band, car je sais bien que les petits malins iront le chercher directement sur Spotify. Dans The Invisible band, les pop songs parfaites s'enchainent avec suffisamment de variété et de profondeur pour que l'album soit une franche réussite. Non, je mets en avant ici son successeur, 12 Memories, c'est-à-dire avec lequel Travis a quitté les sommets des charts pour suivre un chemin beaucoup plus anonyme (en France en tout cas, mais également au Royaume-Uni dans une moindre mesure). Si cet album n'a pas connu le succès de The Invisible Band, c'est parce qu'ici on sent que Travis est travaillé par "ce qui marche". En anglais, on dirait "They're trying a bit too hard". L'album dans l'ensemble souffre de cette ambition de s'éloigner des sentiers battus de la pop à guitare, et ce n'est pas vraiment au crédit du groupe ("Happy to Hand Around"). Quand Travis se met à la politique, c'est même carrément une catastrophe ("Peace the Fuck Out").


Je viens donc de passer plusieurs paragraphes à vous expliquer que Travis n'a pas le génie de Coldplay et que même sur cet album que j'ai sélectionné, certains titres n'ont aucun intérêt. C'est pour mieux ménager le suspens et vous dévoiler ici le secret de cet album mal aimé: il recèle de véritables pépites. Lorsque Travis range la guitare électrique, que le titre soit dépouillé ou au contraire livré dans un cocon piano-violon-guitare, c'est bien simple, on tutoie les cieux.


L'album s'ouvre sur des accords de piano, d'abord sur la retenue puis emportés dans un tourbillon de cordes et de choeurs ("Quicksand"). En réalité, Travis ne se fait aucune illusion sur le sort qui lui sera réservé et il en prend son parti ("It's just the sound of one more rock star bleeding"). Tendez l'oreille à "Re-Offender": le talent de songwriter de Travis éclate dans ce titre à vous arracher le coeur ("Everybody thinks you're well/Everybody thinks I'm ill/Watching me fall apart/Falling under your spell"). Trop de violons, trop d'émotions ? Pas de problème, avancez un peu dans l'album et écoutez "Paperclips", une chanson de rupture tout en nostalgie. Jetez aussi une oreille aux très plaisantes "Somewhere Else" et "Love Will Come Through".


C'est plutôt une bonne nouvelle, finalement, pour ceux qui déploraient l'absence totale de qualité des dernières livraisons de Coldplay. Vous allez pouvoir parcourir toute la discographie de Travis dès maintenant. Bonne écoute.


A retenir: "Re-Offender".

The Cure, Seventeen Seconds (1980)


La discographie a déjà été traitée lors d'un dossier Albumrock et j'y avais déjà écrit la chronique de cet album. Je vous épargne donc une nouvelle analyse en long en large et en travers de ce chef d'oeuvre, pour prendre le temps de justifier sa place dans ce classement.


Il est vrai qu'on avait annoncé d'emblée qu'aucun grand classique du rock ne figurerait dans ce classement. Sinon, on aurait dû s'arracher les cheveux sur les 10 meilleurs groupes de rock de tous les temps, puis choisir un album par groupe, bref, on n'en serait jamais sortis. Mais alors, pourquoi the Cure?


Pour faire écho à ce qu'en disait Maxime L dans son propre classement, pendant longtemps the Cure fut à mes yeux ce groupe estampillé pop FM, dont le geignant "Boys don't cry" me cassait les oreilles: la soupe des années 80 dans toute sa splendeur. Ce n'est pas faire honneur à la qualité intrinsèque de la chanson, ni à la place pivotale du groupe dans l'histoire de la musique contemporaine (rien de moins).


Ma véritable découverte des Cure a commencé lors d'un trajet professionnel Lille - Paris. Je suis en stage de fin d'études et mon manager à côté de moi a sorti son ordinateur, mais, peu désireux de travailler après une journée de réunions, semble vouloir faire la conversation. Pour me donner une contenance, j'attrape le TGV Magasine dans le filet du siège de devant et je le feuillete. Je tombe sur un article du genre "Album du mois" qui met à l'honneur Faith, de The Cure. Le journaliste évoque les tons crépusculaires de "The Drowning Man", la varape sur la ligne de basse de "Primary", bref, l'album a l'air d'être un chef d'oeuvre complet. Je tombe la tête la première dans la Curemania.


Pourtant, puisque je ne peux en retenir qu'un seul, c'est son prédécesseur, Seventeen Seconds, qui figure dans ce classement. Au contraire de certains des précédents albums de ce classement (notamment celui de Travis), voilà un album qui s'écoute du début à la fin, comme religieusement. De l'intro dépouillée de "A Reflection" jusqu'à l'outro de "Seventeen Seconds", le parcours est sinueux. L'inventivité des Cure et leur capacité à écrire des chansons impeccables éclatent dans le joyau brut de "Play for Today", sur le rythme ternaire de "In Your House" et surtout sur "A Forest". Entre ces pépites, des chansons de remplissage qui osent assumer leur statut de temps de respiration ("Secrets", "Three").


Pour être honnête, même si l'ensemble de l'album était un crash intersidéral, il aurait sa place dans un tel classement rien que pour le titre "A Forest". Si vous ne l'avez jamais écouté, je vous envie: la première écoute d'un chef d'oeuvre est une émotion par essence fugace. Profitez-en bien.


A retenir: "A Forest"

Miossec, Boire (1995)


C'est parti pour la plus vieille antienne de la critique rock hexagonale: "Le rock français existe-t-il en dehors de Noir Désir", ainsi que ses déclinaisons telles que "Eiffel/Luke/Le groupe du cousin de mon voisin fait-il un bon successeur à Noir Désir" et autres "Mais au fond, peut-on faire du rock et chanter en français?", sans oublier dans une ère post-metoo: "Peut-on vraiment encore écouter du Noir Désir? Je veux dire, Cantat quoi..." (et de reboucler à la première question, etc.).


Comme ceci est un classement personnel et qu'on peut choisir d'éviter les questions qui fâchent, je me garderai bien de répondre à toutes ces interrogations. Oui, 666.667 club est un chef d'oeuvre, et oui, il y a aussi beaucoup d'autres groupes qui ont su marier la langue de Molière et le rock. Et ici, nous parlons de Miossec. Voilà.


Boire est un album que j'ai découvert en feuilletant le livre de Gilles Verlant et Thomas Caussé évoqué en introduction de ce dossier. Il est vrai que ce n'est pas vraiment un album de rock au sens traditionnel, car il n'y a pas de batterie et les guitares sont le plus souvent sèches.


Alors, que fait-il ici? Il faut, dès le premier titre, se prendre les guitares et la basse directement dans la figure et faire connaissance avec cette voix rauque, pas vraiment chantée, qui crache ses paroles comme on expie des péchés. Brest et ses rades forment le décor de cette exploration de la noirceur humaine, où chacun se débat avec ses petits arrangements, sa conscience et les conséquences de ses actes. L'humain à nu, la peur de l'humiliation, le désir dans ce qu'il a de plus vif, le besoin irrépressible de creuser sa tombe sans aucune explication: "Je me sens seul je me sens sale/Et ça me fout un peu en l'air/D'être bon que pour les râles/Titubant sous les réverbères/Qui me rendent encore plus pâle".  La langue est rapeuse, la rythmique parfois hasardeuse, la voix comme en équilibre. Tout dans cet album respire le vertige de l'ivresse et la crasse délicatement mariés avec des arrangements épurés.


Vint-cinq ans après sa sortie, voilà un album qui n'a pas pris une ride. On vous laissera entonner "Gilles" à cet ami toujours sur le fil, "La fille à qui je pense" (qu'on doit initialement à notre Johnny national) à votre prochain plan Tinder, "Le Cul par Terre" lorsque vous vous réveillerez après votre première soirée post-confinement et "Regarde un peu la France" lors de la prochaine allocution présidentielle.


Autant vous prévenir, vous allez doucement ricaner la prochaine fois que vous entendrez la voix de Miossec susurrer "Je m'en vais" dans un piano voix larmoyant sur Chérie FM.


A retenir: "Le Cul par Terre"

The Stone Roses, The Stone Roses (1989)


Pour une fois, mon panthéon personnel est parfaitement en phase avec la vérité historique et la doxa officielle d'Albumrock. Il fallait bien un album parfait pour réussir ce tour de force.


Je ne me risquerai pas à en faire le portrait, vu que Maxime l'a déjà fait ici et avec un certain talent.


Je me contenterai de dire ceci: c'est le confinement, vous n'avez rien à faire, alors mettez vous la version deluxe (celle qui a Fool's Gold en dernier titre), calez vous tranquillement et écoutez cet album, laissez-le vous emporter. Vous allez voir, ça va bien se passer.


A retenir: tout. Mais surtout "I Wanna Be Adored", "Waterfall", "I Am The Resurrection" et "Fool's Gold".


 

Oasis, Definitely Maybe (1994)


Fini de rire. C'est bien beau, les Stones Roses et leur créneau de groupe maudit de la Britpop. Il est temps de prendre parti sur le débat le plus éculé du rock moderne: Oasis ou Blur?


Evidemment que j'aimerais citer plutôt Blur, ou Pulp, ou mieux encore, balayer tout cela d'un revers de la main, en mettant OK Computer de Radiohead au-dessus de tout. Mais la réalité est cruelle: à mes yeux, aucun album n'arrive à la cheville de Definitely Maybe (sauf les autres de ce classement, et encore).


Puisque vous êtes encore là à me lire -et vous avez bien du mérite-, autant vous partager des souvenirs personnels. Comme tout le monde, j'ai découvert "Wonderwall" à l'adolescence, parce qu'un beau gosse à guitare avait bien compris que c'était le meilleur moyen d'attirer les filles (qui s'agglutainaient autour de lui en bramant en choeur "And after aaaaaall...."). Comme tout le monde, j'ai eu le cerveau lessivé par leurs titres en radio, j'ai monté le son en les entendant passer, j'ai acheté des albums. Puis, comme une vraie fan, j'ai cherché leurs héritiers (Kasabian était un sérieux concurrent, à un moment), j'ai maudi leur séparation, j'ai été pleurer devant Liam en concert et j'allume régulièrement un cierge pour leur reformation.


A force qu'on me répète que "Oasis, c'était mieux avant", mais "tu ne peux pas comprendre", vu que "tu étais trop petite pour pouvoir apprécier la déflagration que c'était en 1994", j'ai fini par craquer et acheter coup sur coup Definitely Maybe et (What's the story) Morning Glory?. Et pendant que beaucoup laissaient tomber, jetant parfois une oreille aux projets solos des frères Gallagher, j'ai continué à écouter leurs premiers albums, encore et encore.


Alors, pourquoi le premier album plutôt que le second? De (What's the story) Morning Glory?, outre les tubes évidents, j'ai retenu "Talk Tonight", qu'un ami nous a fait l'honneur d'interpréter lors de notre mariage. Si vous pensez qu'Oasis est un groupe de brutes épaisses à gros sourcils, on vous conseille de jeter une oreille à cette perle de fragilité: "I wanna talk tonight/About how you saved my life".


Mais je préfère le premier album, Definitely Maybe pour ceux qui ne suivent pas, qui reste un paroxysme de fraicheur et de décontraction. Rien ne résume mieux le rock que le premier titre, pied de nez à l'injonction de productivité: "Then they said/I should feed my head/Well that to me/Is just a day in bed" , à une époque où ça n'était pas encore synonyme de "mater ce petit docu très éclairant qui est en ce moment sur Netflix". Concis et percutant, comme si tout se combinait avec une parfaite fluidité, "Rock N Roll Star" est tout simplement ce que l'Angleterre a proposé de mieux au monde.


Tout l'album est à l'avenant: de la morgue de "Supersonic" à l'étrange mélancolie de "Silde Away", sans oublier la guitare-voix de "Married with Children", sans oublier "Columbia": six minutes à deux voix d'un chant solaire et une guitare ensorcelante, comme lorsqu'on tourne sur soi-même, étourdi d'un bonheur dont les contours peinent encore à se dessiner ("I can't tell you the way I feel/Because the way I feel/Is also new to me").


A retenir: "Rock'n'Roll star".

Foals, Holy Fire (2013)


Jusqu'ici, nous avons parlé d'albums soit très personnels (Travis, Supergrass) soit cultes pour à peu près tout le monde (The Cure, Oasis). Avec les deux derniers albums de la liste, nous abordons une dernière catégorie: les albums qui sont des portes vers d'autres territoires.


Encensé par la critique lors de sa sortie, Holy Fire de Foals est un condensé de la musique rock contemporaine, influences comprises. Le titre "Prelude", par exemple, ouvre le bal avec ses riffs éplorés de guitare, noyés dans une inquiétante reverb sur fond de batterie tonique. Quoi, on dirait du "shoegaze", que dites-vous? Très bien, allons voir cela. Et hop, un nouveau monde à aller découvrir, du côté de DIIV, Slowdive ou même Beach House (et enfin quelques artistes américains dans mes playlists).


Et "Inhaler", parlons-en ! Cette intro qui a l'air de ne pas y toucher, puis la basse qui rentre dans le jeu, inquiétante à souhait, l'atmosphère se fait poisseuse, "It's a dead end road", on se met à étouffer et le sol se dérobe sous nos pieds, la guitare vrombrissante nous emporte, l'air nous manque, "... and I can get enough space"... Et on se retrouve à monter le son sur Alice in Chains ou Ty Segall, sans bien savoir comment on en est arrivé là.


Toutes les chansons de cet album sont autant de passerelles vers des nouveaux mondes. "Everytime" lorgne vers leur discographie math-rock tandis que "Providence" est un clin d'oeil au rock progressif et une porte d'entrée vers Steven Wilson et Porcupine Tree. "Late Night", sous des airs d'indie rock, vous donnera envie d'en savoir plus sur Sly and the Family Stone, avec son sens du groove impeccable.


Le voyage Holy Fire est réjouissant, excitant, dansant, dépaysant, à petite dose ou tout d'un coup, en mélangeant les titres ou non, pour tous les états d'esprits. S'il ne devait en rester qu'un seul, ça pourrait être une bonne idée de ne retenir que celui-ci.


A retenir: "Inhaler"

Archive, Noise (2004)


Collectif mouvant, touche à touche, fin explorateur des tourments de l'âme humaine, le groupe est devenu culte grâce à "Again": seize minutes de spleen électronique, chevauchée onirique donnant ses lettres de noblesse au chagrin d'amour ("Without your love/I'm dazed in madness"). Trop de sentiments exacerbés pour le public outre-Manche, qui les a toujours boudés, mais jamais assez pour les français, qui les a toujours adulés. En 2002, Archive publie You all look the same to me, ouvert en majesté par "Again", auquel répondent "Finding it so hard" et "Goodbye". D'aucun pensent qu'il s'agit là du mètre-étalon à l'aune duquel il faudra mesurer la qualité des albums suivants.


D'autres vous répondront que le meilleur album d'Archive est Lights, sorti en 2006. Plus rock, mariant les synthés à une batterie tonique, Lights répond à "Again" avec "Lights", dix-huit minutes de montée en puissance, et laisse entre-voir un songwriting bouleversant sur la dernière piste, "Taste of blood".


Entre les deux monuments du groupe, il y a Noise, publié en 2004. Sous les synthés encore très présents, une onde de rage parcourt l'ensemble des pistes, comme une tension nerveuse qui ne se relâche jamais.


Le single "Fuck U" entre en radio et Ouï FM le passe généreusement, à toute heure, sans doute convaincu que personne ne comprend les paroles. Pourtant, Graig Walker les articule avec application, comme pour être sûr qu'on capte le message, certifié avec des gros mots dedans: "Can't believe you were once just like anyone else/Then you grew and became like the Devil himself/Pray to God I can think of a nice thing to say/But I don't think I can, so fuck you anyway". Et bonne journée à vous.


Noise est l'album d'une rébellion, d'une fureur contenue qui pulse dans les veines et ne demande qu'à exploser à la moindre étincelle, comme dans son ébouriffant titre éponyme, somptueux de maitrise. Chaque titre déploie sa propre cathédrale sonore, les émotions toujours à fleur de peau. On a rarement aussi bien chanté le désespoir amoureux que dans le dépouillement de l'intro de "Waste", avant d'êter englouti dans un cauchemar dont on ne trouve pas l'issue. Le point d'orgue de l'album se trouve dans "Get Out", qui commence dans un feulement de colère et qui soudain trouve un apaisement. Et même lorsque l'on trouve l'être aimé, rien n'est acquis: "Love Song" commence par une jolie confession ("All this time/I'm distracted from the world/The world outside of your arms/All I need is here") avant de se faire bousculer par le doute, dont la distorsion grimpe le long de notre échine comme un poison.


De la même façon que le 12 Memories de Travis souffrait de quelques titres inutiles, tout n'a pas bien veilli dans Noise. Mais qu'importe. Tout comme Holy Fire a été le tremplin vers le shoegaze et le funk, Noise a été la porte d'entrée vers le reste de la discographie d'Archive, puis ensuite vers la somme de toutes leurs influences. Souvent critiqué pour son incapacité à se tenir à un seul genre, accusé de pomper ses références sans rien apporter de nouveau, Archive lorgne du côté du trip hop (ouvrant vers la sainte Trinité de Bristol: Massive Attack, Portishead, Morcheeba), du rap, du rock progressif (revoilà Steven Wilson) et bien sûr doit tout aux saint pères du rock introspectif, Pink Floyd.


Terminons ce long dossier par une anecdote personnelle. Lors de mon mariage, au moment de l'inévitable diaporama de photos gênantes, l'un des copains projete une vidéo et la mariée bondit en hurlant. Il y a eu de nombreux moments magiques dans cette journée, mais je dois reconnaitre que ce moment fut mémorable: Darius Keeler, l'une des deux têtes pensantes d'Archive, déclarant à la caméra: "Raphaëlle, I wish you a very happy wedding".

Bonus - Au delà du rock


Après bien des hésitations, j'ai choisi de respecter la consigne et de ne pas trop m'éloigner des codes du rock pour choisir les 10 albums. Si toutefois nous acceptons ne pas être trop sectaires, voici quelques suggestions pour ouvrir nos horizons et réviser nos classiques.



  1. Marvin Gaye - What's going on

  2. Stevie Wonder - Innervisions

  3. The Smiths - The Queen is dead

  4. M - Je dis Aime

  5. Morcheeba - Big Calm


A vous de nous faire part de votre sélection!

Commentaires
Raphaelle, le 11/04/2020 à 20:10
Sleep with en anglais a le double sens « dormir avec » et « coucher avec ». Un peu sulfureux au regard de certains parents...
Eily, le 10/04/2020 à 17:22
Pour "sleeping with ghosts", c'est quoi le jeu de mot douteux du titre ?
RV, le 10/04/2020 à 10:57
Et be a vegetable de Drive Blind
RV, le 09/04/2020 à 16:46
Sélection fort intéressante. J'ai découvert récemment les Cures un peu de la même façon via cette album et leur 1er. Sélection de quelques albums que j'aprécie et qui n'ont pas eu pour moi le succès mérité. Baby chaos - Love Your Self Abuse My Vitriol - Finelines Los Chicros - Sour Sick Soul Quidam - En eaux profondes Soma - Jewel And The Orchestra lunatic age - Miranda Singles - Original Motion Picture Soundtrack (version Vinyl et son CD d'inédits) Temple Of The Dog - Temple Of The Dog MAD SEASON - Above (version Deluxe 2CD + DVD) Finch - What It Is to Burn Mark lanegan - Bubblegum (LP) & son (EP) Here Comes That Weird Chill Audioslave - Audioslabe & Out of Exile Filter - Title of the record Bonne écoute