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Dossier The Who


Collectif, le 07/07/2015

Au cours de ces dernières semaines, la rédaction d'Albumrock a levé le voile sur un dossier essentiellement discographique consacré à ces quatre anglais qui ont marqué l'histoire du rock british. Un quatuor aux multiples facettes, protéiformes, mutant, insaisissable, au style aussi changeant que la coupe de cheveux de Roger Daltrey. Et nous nous sommes rendus compte qu'en définitive, aucun des rédacteurs impliqués dans ce dossier n'appréciait une même période de la formation. Et pire, qu'aucun de nous ne maitrisait véritablement The Who sur le bout des doigts.

 

D'où ce regard collectif, tel l'album photo d'une même famille dont les clichés auraient été pris par un collectif d'amateurs qui n'auraient peut-être jamais confronté leurs points de vue en dehors de cette rédaction. D'où certainement aussi ce manque d'une vision globale susceptible d'embrasser le quatuor Daltrey - Townshend - Entwistle - Moon, quatre hommes eux aussi très différents les uns des autres, ayant parfois eu du mal à surmonter leurs antagonismes mais étant demeurés persuadés de participer à une oeuvre qui les dépassait tous individuellement.

 

Chacun retiendra des Who l'image qu'il préfère. Certains se reconnaîtront davantage dans la coupe courte qu'arborait Roger Daltrey lorsqu'il chantait avec ses Ray-Ban des reprises de blues pugnaces, tandis que d'autres préféreront son look à la Robert Plant de l'époque Tommy - Quadrophenia. Certains garderont en tête les compositions de plus en plus élaborées de Pete Townshend culminant sur le concept album Tommy tandis que d'autres se remémoreront, au choix, son pif légendaire, son moulinet de guitare dévastateur ou son esthétique destructrice qui le voyait exploser ses guitares à la fin de chaque concert. Certains vénéreront les Who des débuts, leur période mods portée par le tube "My Generation", tandis que d'autres préféreront leur prostitution sur l'autel du marketing, leurs grands opéra ou leur fin de carrière plus intimiste. Certains porteront aux nues le tandem chant-guitare qui, tout au long de ses quarante années de carrière, a sû se réinventer à mesure que les époques passaient, tandis que d'autres n'auront d'yeux que pour la défunte section rythmique et sa brillante technicité sans qui les Who n'auraient certainement pas été ce qu'ils sont. Just make your choice.

 

Si l'essentiel de ce dossier se résume à des chroniques d'album, Pierre a néanmoins tenu à brosser, en parallèle au phénomène Who, une rétrospective du phénomène mods (abrévation de "modernists") qui, historiquement, a d'abord été porté par les quatre londonniens mais qui, vous le verrez en lisant la page suivante, se résume en définitive à une vaste fumisterie orchestrée par une brassée de commerciaux futés. Et il illustre son propos en développant le "revival mods" de Paul Weller via The Jam et l'emblématique In The City.

 

Bonne lecture à tous, et n'oubliez pas les chroniques que nous avons déjà publié au cours de ces dernières semaines, en attendant très bientôt le regard de Maxime sur My Generation.

 

Nicolas

 

- A Quick One, par Pierre

- The Who Sell Out, par Mathilde

- Tommy, par Mathilde

- Who's Next, par Louis N

- Quadrophenia, par Etienne

- Who Are You, par Etienne

- Live At Leeds, par Matthew

- Live report : The Who au Barclays Center de Brooklyn le 26/05/2015, par Alan

- Chronique DVD : Amazing Journey, the story of The Who, par Nicolas

 

Mods

Partie 1: La sous-culture Mod


De quoi parle-t-on avec la sous-culture Mod ? Pur produit de l'Angleterre post-Seconde Guerre Mondiale, une nation qui se remet du Blitz et des privations. Et qui découvre la société de consommation. Très Trente Glorieuses donc. Dès la fin des années 50 des fils de tailleurs de l'Est de Londres adoptent un style vestimentaire bien éloigné de celui attaché à leur classe sociale. Ils s'habillent comme des acteurs français ou italiens aperçus dans les films de la Nouvelle Vague. Pourquoi Mod ? Parce que Modernist en écho au jazz moderne (ou be-bop) que ces personnes affectionnent. L'important est de posséder moderne, notamment un scooter Vespa ou Lambretta (italien encore) et pour protéger ses nouvelles frusques, une parka. Tout cela ne concerne en réalité que quelques milliers de jeunes garçons issus de la classe ouvrière londonienne.
Pourquoi à ce moment précis ? D'abord la hausse des salaires permise par la croissance économique autorise les classes populaires à ne plus dépendre du travail des jeunes pour faire vivre les familles. Ces derniers travaillent mais sont alors indépendants financièrement et disposent d'un revenu à dépenser. Le baby-boom ensuite entraîne un rajeunissement de la population. Au début des années 60 40% de la population anglaise a moins de 25 ans. Le progrès technologique enfin est le troisième facteur qui fait diminuer les besoins en main-d’œuvre. Tout le monde a du boulot et du temps libre. La jeune société de consommation met à portée le rêve de possession synonyme d'élévation sociale. Je vivrai mieux que mes parents, pourquoi devrais-je être tenu par les mêmes carcans traditionnels qu'eux ?

On l'aura compris, il n'est pas question de musique là-dedans et il n'en sera jamais réellement question. Les Mods écoutent du jazz moderne et copient le look Ivy League des jazzmen mais lâchent le jazz dès que ce dernier est passé de mode justement et se mettent au rythm n' blues. Les pubs ferment trop tôt ? On sortira dans les night-clubs et on gobera des amphétamines pour tenir le rythme de la semaine. Le bégaiement effet secondaire de ces excitants, Roger Daltrey le reproduit sur le hit des Who "My Generation". Même si les Who managés par Pete Meaden qui "vivait, pensait et dormait Mod" selon Pete Townshend sont adoptés par le mouvement Mod, il n'y a pas à proprement parler de musique mod ou de groupe mod. À l'exception du pianiste Georgie Fame et du chanteur Chris Farlowe, les Mods n'écoutent pas de blancs et encore moins d'Anglais. Ils écoutent ce qui est considéré comme moderne.
Le jazz d'abord puis le rythm n' blues et pour finir la soul. Cette musique nouvelle débarque à Londres vers 1965 – 1967 alors que l'âge d'or du mouvement Mod se situe en 1964. Plusieurs groupes anglais trouvent alors grâce aux yeux des Mods : The Action qui copient les tubes Motown ou encore Jimmy James & The Vagabonds assemblés par Pete Meaden pour incendier les clubs. Et puis la mode soul est passée. Devenu phénomène commercial de masse en 1965, le mouvement Mod n'intéresse bientôt plus personne, pas même les Mods eux-mêmes qui ont grandi, se sont mariés et ont eu des enfants. Après avoir rejeté en bloc les valeurs de leur classe sociale et tourné leur vie vers les loisirs et le non-travail ces (moins) jeunes hommes sont rentrés dans leur rang.

Partie 2: Le revival Mod des années 70


On le voit donc, le mouvement Mod ce n'est en réalité pas grand-chose. Des jeunes hommes anglais qui dépensent leur paye dans la musique, les clubs, les vêtements et la drogue, le tout avec une obsession pour la modernité. Comment quelque chose d'aussi superficiel a-t-il pu se trouver essentialisé ? D'autant plus dans le monde du rock, musique que les Mods n'écoutaient même pas ?! Ça tient peut-être au fait que les Mods étaient des jeunes issus de la classe ouvrière, ce qui rejoint le détestable mythe de l'authenticité du rock 'n' roll où ne serait vrai et valable que ce qui est produit par des gens sans le sou. Il y a un peu de cela dans l'amour que Paul Weller porte au mouvement qu'il réanimera presque à lui seul à la fin des années 70.

Presque parce qu'il y eut d'abord les Who eux-mêmes. En 1974, soit 10 ans après s'être joint à la fête, Pete Townshend bricole le concept-album Quadrophenia qui conte l'histoire d'un jeune Mod à la personnalité fracturée en 4 (pas schizophrène mais quadrophène donc) qui tente de réunir ses parties au sein de la communauté Mod avant de se suicider. Aussi débile l'histoire puisse-t-elle sembler, elle contribue à relancer la mode. Ce seront surtout Paul Weller et son groupe The Jam qui mettront le feu aux poudres. En découvrant The Who Sing My Generation Weller se plonge dans cette sous-culture sixties révolue et y trouve l'aspect jeune prolétaire désireux d'échapper à sa classe sociale mêlée à un amour pour le ska et la soul qu'il adore déjà. Il se procure tout l'attirail (costumes, parka, scooter) et rejoint le mouvement punk où il fait figure d'extraterrestre avec son goût revendiqué pour le passé. Même s'ils passent pour des ploucs chez les punks londoniens les Jam sont vite adulés par la jeunesse anglaise. Leur succès conjugué à la sortie en 1979 du film Quadrophenia adapté de l'album du même nom donne naissance à un revival Mod. Un non-sens total. Comment une sous-culture attachée à la modernité pourrait-elle renaître à l'identique ? Résultat : le revival n'est que pastiche. Les jeunes se sapent comme leurs aînés 15 ans plus tôt alors que tout ceci n'est plus du tout d'époque. Cette sinistre pantalonnade n'est qu'une copie formelle d'un uniforme. Au moins respecte-t-elle la superficialité du mouvement originel.

On l'a dit, il n'y a jamais eu de musique Mod. Alors quand des gosses de 1979 se piquent de vouloir fonder des groupes Mods l'ensemble est embarrassant. Merton Parkas, Purple Hearts, Secret Affair, tous se contentent d'imiter péniblement les Jam pour un résultat médiocre. Paul Weller dira : "Je n'ai pas grand-chose à voir avec tout cela. C'est assez pathétique en réalité." Lui-même est finalement bien plus fidèle à la fixette sur la modernité en tuant les Jam au sommet de leur popularité en 1982 quand il veut être en phase avec son époque. Il fonde alors The Style Council qui mêle soul, jazz, punk, hip-hop et electro. Tout ce qui est moderne dans les années 80. La musique n'est pas terrible mais encore une fois les Mods n'écoutaient pas de la musique parce qu'elle était bonne, uniquement parce qu'elle était neuve. Le mouvement perpétuel indépendamment du bon goût. Pourtant le mot Mod évoque aujourd'hui une certaine idée du bon goût rock 'n' roll.

Partie 3: un instrument de domination culturelle?


Pourquoi ? Parce que des gens en ont décidé ainsi. Pour qu'une chose demeure de bon goût elle doit le rester aux yeux de ceux qui définissent le bon goût en question. Pourquoi la pop synthétique des années 80, summum du cool à sa sortie, est-elle ringarde jusque dans ses sonorités aujourd'hui ? Pourquoi les Beatles sont-ils tout à fait écoutables malgré leurs gosiers de grenouilles castrées ? Il ne s'agit pas que de qualité musicale intrinsèque. La vérité c'est que les Beatles ont été considérés comme écoutables et de bon goût sans discontinuité depuis leur arrivée sur la scène médiatique. Les musiciens, les journalistes, les maisons de disques ont maintenu les Beatles dans la case musique acceptée et donc dans les oreilles des générations depuis les années 60.  Restez devant les caméras ou dans les enceintes et vous ne passerez jamais de mode.

La sous-culture Mod a ainsi été réactivée régulièrement depuis son émergence. À partir de 1965 elle bénéficie d'une exposition médiatique et devient pour quelques courtes années (mois?) le top du cool du Swingin' London. En 1974 puis en 1979 le revival Mod précédemment évoqué la remet sur le devant de la scène, aidé par le revival ska à la même époque (Madness, The Specials). La Britpop des années 90 porte Paul Weller au nues en le consacrant Modfather. On ressort l'Union Jack, les parkas (cf. le clip de "D'You Know What I Mean" d'Oasis), les disques des Who et des Small Faces. Là encore la presse soutient activement l'initiative et les couvertures du NME achèvent de remettre la chose à la mode.
Au début des années 2000 c'est à la doxa Rock & Folk de liquider l'héritage des nineties. Le neo metal n'avait jamais été de très bon goût (même si tellement plus créatif et moderne que la Britpop ou le Grunge) et est mis de côté. Pourquoi les baby-rockers sont-ils cools pendant deux ans ? Parce qu'ils sont soutenus par une certaine presse. Pourquoi ce soutien ? Parce que ces jeunes écouteraient les Small Faces plutôt que Noir Désir. Éternel recommencement, ce qui est hype c'est le Mod. Peu importe que la musique n'ait rien à voir avec le jazz, le rythm n' blues ou la soul. Peu importe que la hype ne tienne qu'à des fringues plus ajustées que des pantacourts, de toute façon la sous-culture Mod était superficielle dès le départ. Le résultat n'est qu'un passéisme comme un autre. Une certaine idée du cool qui permet à des gens très tristes de se dire qu'ils ont encore prise sur l'environnement culturel (s'ils ont jamais eu une quelconque influence dessus). Comment ne pas vieillir ? Assurez-vous que vous définissez ce qui est jeune et de bon goût pour ne jamais cesser de jouir de l'époque même si elle n'est plus la vôtre.

Nous sommes donc autorisés à imiter Keith Flint sur scène avec Prodigy. Déchirez la parka, lacérez la tunique aux couleurs de l'Union Jack et incinérez tout le reste de la quincaillerie Mod. Cette histoire n'a jamais été qu'une question de tissu et d'argent à dépenser.


Pierre D

Commentaires
Arbitre, le 01/10/2020 à 00:39
Très intéressant, merci beaucoup.