
Weezer
Pinkerton
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1- Tired of sex / 2- Getchoo / 3- No other one / 4- Why bother ? / 5- Across the sea / 6- The good life / 7- El scorcho / 8- Pink triangle / 9- Falling for you / 10- Butterfly


Pour      bien comprendre l'état psychologique de ce bon vieux Rivers à la  fin    de  l'année 1994, on vous recommande chaudement de visionner à   nouveau   le  clip de "Buddy Holly" sur YouTube. Le constat initial est   le  suivant  :  en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, les  quatre  gus  de Weezer  sont passés du statut de sympathiques nerds empruntés et anonymes à  celui de rock stars s'étant retrouvés en rotation lourde sur MTV (grâce  au dit clip) et ayant accouché d'un album blockbuster (Blue Album)  écoulé à plus de 3 millions d'exemplaires chez l'Oncle Sam. Pour  autant, certaines critiques n'ont pas été tendres avec les Weezer,     ne  voyant dans leur power pop bravache qu'un phénomène de mode  porté    par un  énième groupe à singles voué à sombrer rapidement dans   l'oubli.    Perturbé par cette surexposition médiatique permanente, et   persuadé  que   le succès du Blue Album n'est lié qu'à ce   fameux clip,   réalisé,  on le rappelle, par le chantre du cinéma indé   américain (Spike   Jonze),  Cuomo décide de faire un break de quelques   mois à partir de  la  fin 1994,  juste après la dernière tournée de   support du Blue,   et de  retourner dans son Connecticut natal   armé de son 8-pistes. Son   intention  est claire : affiner son   songwriting, et faire mentir les   détracteurs  de Weezer en     lançant le groupe dans une toute autre direction. Dans le  même    esprit,  il brigue le projet d'intégrer la fac de musicologie  d'Harvard    afin  d'apprendre la théorie musicale et de pousser sa formation vers      plus de complexité et de subtilité, ce d'autant qu'il prend à   l'époque    de plus en plus de distance avec le rock n' roll way of   life. Quelques    mois plus tard, fin mai 1995, Rivers rappelle ses   collègues pour   mettre  en boite plusieurs démos destinées à un concept   album intitulé Songs From The Black Hole,    mettant en scène   un opéra-rock spatial dont les thèmes des titres se    retrouveraient   tous intégrées à un gigantesque morceau-coda final.  Matt   Sharp se   retrouve particulièrement investi dans le projet et  propose   pour sa   part une bonne quantité d'idées de riffs. Beaucoup de  morceaux   sont   alors mis en boîte à la fin de l'été 1995 à l'Electric  Lady Studio   de   New York, et notamment "Why Bother?", "Getchoo," "No  Other One," et     "Tired of Sex".
Mais l'histoire se retrouve mise entre  parenthèses par deux événements importants liés à la vie personnelle de  Rivers Cuomo :     son opération d'allongement de la jambe droite (il est en  effet né     avec une jambe plus courte que l'autre), et son intégration,    finalement   effective, à l'université de Harvard. Faute de    disponibilités, Cuomo   laisse ses équipiers retourner à leurs   occupations  et développer leurs   propres side-projects. Patrick Wilson   s'acoquine  avec The Special   Goodness, Brian Bell part former les   Space Twins, mais  c'est surtout   Matt Sharp qui s'émancipe le plus   avec les Rentals, le  groupe qu'il a   fondé en même temps que Weezer et     dont le premier album  arrive dans les bacs à Noël 1995. A cette     occasion, Cuomo a la mauvaise  surprise d'entendre sur ce disque nombre     d'idées apportées par Sharp au  fameux projet Songs From The Black Hole. Rongé par des études qui  l'accaparent bien plus qu'il ne le voudrait et plombé par cette fuite  inopinée de matériel, Rivers Cuomo ne     se sent pas le courage de mener à  bien son opéra-rock et décide de     laisser tomber le projet. Commence  alors pour lui une période     difficile, faite de désillusions amoureuses,  de perte de confiance en     lui et d'embarras intellectuel face à des  études qui, finalement, ne     lui conviennent pas. Enfermé dans sa chambre  d'étudiant, Cuomo se     laisse pousser la barbe et les cheveux, se cache  derrière d'épaisses     lunettes, rumine sa frustration et  se shoote aux     antalgiques, sa jambe droite continuant à le faire  souffrir après     l'intervention chirurgicale (c'est aussi la raison pour  laquelle il     marche avec une canne dans les couloirs de l'université,  comme un     vieillard, fait relaté dans l'autobiographique "The Good  Life"). Il     étudie aussi l'opéra (en particulier Madame Butterfly  de    Puccini,  qu'il adore) et se prend de passion pour le jeu de guitare     d'Yngwie  Malmsteen. C'est à cette époque qu'il compose "El Scorcho",     en rapport  avec une fille qui lui plait mais qu'il n'ose pas aborder     par crainte  d'être rejeté, ou encore "Pink Triangle", autre rateau  pris    avec une  demoiselle qu'il drague et qui se trouve être...  lesbienne.    Cuomo en  profite également pour retravailler quelques  titres déjà    enregistrés en  septembre afin de les montrer sous un  jour plus    personnel, puisant dans  ses tripes des textes emprunts de  timidité et    de pudeur. L'album évolue  alors de Songs From The Black Hole vers une sorte de vague hommage à Madame Butterfly      (dont Pinkerton est l'un des personnage), le tout paré de  références  à    la culture pop japonaise : artwork enprunté à l'estampe  Kambara  yoru   no  yuki du peintre Hinoshige, groupies aux teintures   excentriques   évoquées  dans "El Scorcho", et bien sûr lettre d'une   jeune fan nippone   fantasmée  dans "Across The Sea". Pas étonnant, avec   ça, que Cuomo ait   fini par  épouser une japonaise...
L'album est finalement enregistré en  deux temps, en janvier et en avril  1996 aux Sound City Studios  (Californie), lors des rares semaines de    break  universitaires du  frontman, avec deux axes principaux en tant    que  profession de foi : se  passer de producteur, et sonner au plus    proche  du live. A cette  occasion, Cuomo affirme une mainmise totale et    quasi  paranoïaque sur le  groupe, prenant toutes les décisions tant     organisationnelles  qu'artistiques. Et alors que les textes de Pinkerton se     trouvent  chargés de pathos adolescent et de quête introspective     (faut-il que je  continue mes études ? Faut-il que je partage les     sentiments que j'ai  pour elle ? Faut-il que je m'aime comme je suis ?),     le traitement sonore  privilégie l'instinct ainsi qu'une certaine    forme  de férocité démente,  un peu comme si les Pixies revisitaient le répertoire de Brian Wilson.  Branchées sur leurs amplis avec une bonne dose de distorsions, les  guitares de Rivers Cuomo et     de Brian Bell déchargent leurs riffs avec  une sorte de brutalité     hilare, éraflant les pavillons auditifs avec  avidité alors que les  deux    compères beuglent en chœur leurs paroles sans  se soucier le  moins du    monde d'accomplir une performance vocale  irréprochable.  Derrière ses    fûts, Patrick Wilson le placide décuple la  puissance de  ses coups et    semble vouloir écraser les auditeurs sous  l'assaut de  ses frappes de    hussard, épaulé par un Matt Sharp impeccable  aux  commandes de sa    volumineuse quatre cordes. Pourtant Pinkerton sonne  comme un album de Weezer :     les mélodies restent joyeuses et  remarquablement limpides, la voix   de   Cuomo garde toujours cette gaieté  naïve de dadais complexé qui    cherche à  faire de l'épate, et le son se  révèle aussi rentre-dedans    qu'une  charge de bisons lancés à bride  abattue. Mais on y ressent    aussi un  certain malaise, une hystérie  outrancière en forme d'exutoire    à un  contenu thématique empli de  souffrance, ou encore dit  autrement  :  une  jovialité surjouée érigée au  rang de catharsis.  Cette  opposition  entre  joie superficielle et  tristesse de fond fait  toute  la saveur  d'une  galette que beaucoup  considèrent comme l'une  des  influences  majeures de  la scène émo  actuelle, Cuomo ayant  d'ailleurs  affirmé à ce  sujet, non  sans humour : "Je n'ai aucune idée de ce qu'est l'émo, mais il paraît que j'y ai eu une certaine part de responsabilité".      Et alors que maintes brochettes de punks à rimmel se sont depuis      engouffrés dans la brèche émotive en bêlant comme des âmes en peine la      souffrance de leur pauvre petit cœur meurtri, Rivers Cuomo a  l'intelligence de jouer ici sur le second degré d'intention pour faire  passer son mal-être, et ça fait toute la différence.
Tout comme le Blue Album, Pinkerton      se retrouve chargé jusqu'à l'os de morceaux mélodiques, frondeurs  et     percutants, réalisant une fois encore cette sacro-sainte alliance    entre   la science harmonique de la pop et la puissance du rock  lourd.   Trente   minutes seulement pour dix titres (quoique Cuomo soit  un   coutumier du   fait, la plupart des albums de Weezer se     contentant de dix morceaux),  mais l'ensemble s'avère étonnamment    dense  malgré quelques moments de  calme. Parmi eux, "Tired Of Sex" se    trouve  dans une position assez  spéciale, car ce titre, écrit avant la    sortie  du Blue Album,  avait initialement une connotation    ironique  assez critique vis-à-vis du  star-system et des rockeurs qui     "consomment" une groupie différente par  soirée, Cuomo prenant ainsi   ses   distances avec une attitude qu'il  jugeait irresponsable et en   totale   inadéquation avec ses aspirations  profondes. Seulement,   quelques  années  plus tard et après une longue  période de disette   émotionnelle  et  sexuelle à Harvard, le titre a pris  une toute autre   dimension. Car   notre Rivers, tout en chantant qu'il en  avait marre de   faire l'amour à   tout bout de champ, n'avait qu'une seule  envie :   c'est qu'une fille   daigne enfin s'intéresser à lui et lui tombe  dans   les bras. Par   ailleurs, on note sur les trois premiers titres une    énergie presque   incontrôlable, fait mis en valeur par des kyrielles de    hurlements   lâchés dès que l'occasion se présente, agrémentant un    "Getchoo" sans   cesse sur le fil et introduisant un "No Other One"    braillé avec une   candeur délectable. Bien sûr, les bijoux de ce disque    ne sont autres   que "Across The Sea", basé sur la fameuse lettre   d'une  jeune groupie   japonaise écrite à Cuomo alors qu'il se   morfondait dans sa  piaule   d'étudiant, et "The Good Life", parfait   reflet de la vie  estudiantine   du songwriter, évacuation fulgurante   des ses complexes et  véritable   déclaration d'intention à l'égard du   rock n' roll. Le reste  des   chansons est à l'avenant : "El Scorcho"   brille par sa pertinence    émotive, oscillant en permanence entre   auto-parodie et drame de fac sur    fond de guitares sèches claquées en   cadence, avant de se lâcher sur  une   rythmique punk complètement   déjantée, tandis que "Why Bother?"  laisse   les instrumentistes   marteler leurs riffs musclés tout en  ahanant leur   ritournelle avec   une délectation narquoise. La fin calme  largement le   jeu, avec un   "Falling For You" qui entrevoit déjà un  Rivers éreinté   lâcher ses   derniers obus incendiaires en se faisant  violence sur les   refrains,   tandis que "Butterfly" clôt les hostilités  en acoustique avec   une   retenue vraiment touchante, d'autant que le  texte se révèle d'une     douleur infinie (auto-biographique ?) : "Je  suis désolé pour ce que     j'ai fait / J'ai fait ce que mon corps me  dictait / Je n'avais pas     l'intention de te faire mal / Mais à chaque  fois que je m'accroche à   ce   que je pense vouloir, tout s'évanouit / Le  fantôme s'évanouit."
Et pourtant, Pinkerton s'avère,      dans les premières années qui suivent sa sortie, un désastre     commercial  cuisant et un terrible revers pour l'égo à l'époque fragile     de Rivers  Cuomo. Si la qualité de l'album nous rend la chose     difficilement  compréhensible à l'heure actuelle, un petit coup d'œil     dans le  rétroviseur nous permet de nous rappeler qu'un bon disque ne     fait pas  forcément un succès dans les bacs, et inversement. Plusieurs     accidents  émaillent la sortie de ce deuxième opus, à commencer par  le    désaveu  d'MTV à l'égard du premier clip, "El Scorcho". Pour ce  titre,    Cuomo veut  tourner le dos au côté tape à l'oeil et gros  budget du  clip Happy Days    de "Buddy Holy" en essayant de  retranscrire  une ambiance intimiste en    adéquation avec la pudeur du  morceau. Le  frontman persiste dans son    caprice, entre en  confrontation musclée  avec Geffen, se met en porte à    faux avec celui  qui est chargé de  tourner la vidéo, Mark Romanek, et    finalement se  voit obligé de finir  seul le travail de montage. Las : le    clip,  mettant simplement en  scène le groupe en train de jouer assis  en    rond dans un hall de gare,  ne parvient pas à séduire la toute   puissante   MTV qui boude largement  sa diffusion. Puis vient la plainte   de  l'agence  de détectives  Pinkerton, basée à Encino (Californie),  pour   usurpation de  copyright,  et ce quelques semaines avant la date  de   parution. Le groupe  est  obligé de cesser toute promotion séance    tenante, et Cuomo va  lui-même  défendre sa cause devant le tribunal    après avoir remis un  rapport de  six pages motivant le choix du nom de    l'album. Ayant  finalement  obtenu gain de cause, le disque peut  sortir   avec quelques  jours de  retard. Et là, bang : les critiques  s'avérèrent   mitigées,  mettant  surtout en exergue la rugosité du son  et la  faiblesse  de la   production. Rolling Stone va même, avec une  énorme  dose de  mauvaise  foi,  jusqu'à ériger Pinkerton au  rang du  plus mauvais  album  de  l'année 1996. A partir de là, toutes  les  tentatives pour  redresser  la  barre, clip plus fashion pour "The  Good  Life", bricolage  de l'OZ EP,   ré-enregistrement du  single  "Pink Triangle"  (malheureusement sans  Matt  Sharp, parti  enregistrer le  second album des  Rentals), ne  peuvent  empêcher  l'échec du disque. 
Ce flop commercial inflige à Rivers Cuomo un énorme traumatisme, l'homme allant jusqu'à qualifier a posteriori cet album d'"hideux" et d'"erreur douloureuse faite devant des centaines de milliers de personnes". Il a notamment cette phrase terrible : "C'est comme si une personne ivre se mettait à parler d'elle même devant trop de gens, et qu'elle le regrettait le lendemain".      Profondément meurtri, Cuomo quitte Harvard à la fin de sa deuxième année et passe les trois suivantes barricadé dans sa maison de Boston, tâchant de se      recentrer sur une écriture moins axée sur sa personne (cf le Green Album      et les suivants). Après une phase d'abattement et de léthargie,      coïncidant notamment avec le départ de Matt Sharp qui ne s'épanouit  plus     comme simple joueur de basse alors qu'il était auparavant  largement     crédité au songwriting du groupe, Cuomo reprend la plume  et accouche  de    121 chansons en deux ans, les remaniant et les  triturant sans  cesse    jusqu'à approcher le plus possible de la  perfection. Côté   communication,   c'est le black-out total, et tout le  monde pense que le   groupe va  droit  au split. Cette fameuse période  noire prend fin en   2000 avec   l'enregistrement puis le succès immense  du Green Album et de  "Island In The Sun". Mais malgré ce net regain de popularité accordé à  sa personne, Rivers Cuomo continue obstinément à bouder Pinkerton en live jusqu'à fin 2010, l'homme consentant toutefois à jouer "Tired Of Sex" et "Why Bother?" en de rares occasions.
Mais il existe bien une justice en ce bas monde, car Pinkerton n'est      plus depuis longtemps ce canard boiteux honni de la plèbe et de la      critique. Dès 1997, des forums de discussion se montent sur internet      autour de Weezer, des fans encensent l'album avec chaleur, de  nombreux     groupes se mettent à en revendiquer l'héritage (Deftones,     Jimmy Eat  World, The Get Up Kids). Petit à petit, les ventes     stagnantes repartent  à la hausse, faisant du disque un succès sur le     long terme puisque le  disque d'or est finalement obtenu... en 2005.     L'année d'avant, Rolling  Stone, qui avait si impitoyablement descendu     l'album, reconnaît sa bévue  et rédige une nouvelle critique dans     laquelle une note de 5/5 est  attribuée. Couronnement de cette     réhabilitation de longue haleine,  Rivers Cuomo vient     enfin de se réconcilier avec son œuvre, en éditant  tout d'abord une     édition Deluxe de l'album, puis en annonçant la sortie  prochaine de  Alone III : The Pinkerton Years, recueil solo dans lequel on trouvera notamment l'ensemble des pièces alouées au fameux Songs From The Black Hole,     et enfin en lançant son groupe dans  une tournée au cours de  laquelle   deux  dates sont données  successivement à un jour  d'intervalle dans  la  même  ville, la première  étant vouée à une  interprétation intégrale  du Blue Album, et la seconde étant réservée à ce Pinkerton définitivement  culte. Un juste de retour des choses pour l'un des meilleurs albums de  Weezer, si ce n'est le meilleur, et un incontournable absolu du bon  vieux rock 90's.

Pinkerton est considéré comme une véritable référence. On dit aussi que c'est le meilleur des Weezer ? et « on » n'a sûrement pas tort. Enfin c'est une référence d'un point de vue musical, car les sujets abordés sont d'une gravité plutôt superficielle, un peu légers. Pour exemple, « Tired of sex » qui met en scène un gars fatigué de faire l'amour tout le temps avec autant de filles (c'est vrai c'est pas cool pour lui le pauvre ?). Pour autant donc, cet album n'est pas forcément facile à aborder. Il faut aimer le trash, le rock, le punk (surtout dans l'esprit), le tout mélangé. Si j'osais la comparaison, je dirais qu'il se rapproche un peu des Pixies? Bref, album truffé de petits bijoux trash et des mélodies décadentes (« Tired of sex», « No other one », « Why bother », « El Scorcho ») à base de guitares saturées et de gros son de batterie. Si vous aimez le calme et que le bruit vous fatigue, passez votre chemin, parce que vous n'aurez pas le temps de reposer vos oreilles pendant une demie heure ? (oui c'est un album très court). Un album que tout bon rockeur ou punk-rockeur se doit (pour sa réputation) d'avoir dans sa discothèque et on ne discute pas !
























