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Critique d'album

Queen


Queen II


(08/03/1974 - - Glam Rock - Genre : Rock)
Produit par

1- Procession / 2- Father To Son / 3- White Queen (As It Began) / 4- Some Day One Day / 5- The Loser In The End / 6- Ogre Battle / 7- The Fairy Feller's Master-Stroke / 8- Nevermore / 9- The March Of The Black Queen / 10- Funny How Love Is / 11- Seven Seas Of Rhye / 12- See What A Fool I've Been
Note de 4/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Pensez toujours comme une reine ! Une reine ne craint jamais d’échouer. – Oprah Winfrey"
Daniel, le 02/03/2024
( mots)

Où l’on évoque une considération existentielle digne du BAC Philo de l’APR (1)

Ils sont rares les groupes qui ont réussi le prodige de sortir un meilleur album dès leur deuxième essai. Ce n’est pas arrivé souvent…

Si l’on écarte ceux qui ont tout donné dès le premier effort et ceux qui ont été contraints d’enquiller les accessits pendant des années avant de parfois décrocher une demi-Lune, il reste seulement… Queen.

Après un premier essai pour le moins inabouti (rendu en outre incohérent par des titres inintéressants hérités du passé pré-Queen), le quatuor Mercury-May-Deacon-Taylor est conscient qu’il doit frapper les imaginations s’il entend émerger du bouillonnement rock de son temps. Son premier essai, le single "Keep Yourself Alive" n’a pas trouvé son public et a laissé le monde rock totalement indifférent.

Mais 1974 est une année particulière. Les groupes des sixties appartiennent définitivement au passé. Woodstock est devenu un synonyme de ringardise. Et les plus grands groupes du début des seventies, épuisés par les tournées et les excès, semblent marquer un coup d’arrêt.

Il y a peut-être une place à prendre mais la fenêtre de tir est étriquée. Et le choix du producteur s’avère crucial. Après avoir courtisé David Bowie (heureusement trop occupé par son horrible Pin Ups), Queen jette son dévolu sur Roy Thomas Baker qui venait de produire Free et Nazareth.

C’est un choix gagnant…

Où il se trouve que, dans sa formule classique, Queen était en réalité un quintet

Cinq lettres pour Queen. Et cinq albums (2) produits par un flamboyant cinquième homme, Roy Thomas Baker, le fac-similé de Phil Spector le mieux perruqué des années ’70.

Dès les premières rencontres, Freddie Mercury suggère au producteur de mettre en pratique ses idées les plus excentriques. Celles qu’il ne peut pas utiliser avec tous ces autres groupes ennuyeux et seulement composés d’êtres humains banals.

RTB ne se fera pas prier. Profitant de l’extrême liberté qui lui est accordée il inventera des techniques et des sonorités qui deviendront sa "signature". Le producteur fantasque évoluera rapidement avec le jeune groupe en suivant une trajectoire rectiligne : décollage vertical à pleine puissance puis cap vers les étoiles.

En rock comme en géométrie, la ligne droite reste le chemin le plus court entre deux points, du point a (anonymat le plus obscur) jusqu’au point b (le succès planétaire).

Personnage extravagant, Roy Thomas Baker est aussi un technicien inventif, à l’esprit exigeant et structuré. Il échafaude chaque mesure de chaque titre comme un mille-feuilles avant de tout passer à la moulinette d’un phaser qui deviendra le marqueur indélébile du son de Queen.

Un soin très particulier est réservé aux harmonies vocales et aux superpositions de guitares qui sont d’une complexité révolutionnaire et inégalée.  

Où il se démontre qu’à deux, c’est mieux…

Sous son étrange artwork hiératique, inspiré d’une photo de Marlène Dietrich (dans Shangaï Express), l’album se présente comme une œuvre en deux chapitres distincts (voire antinomiques) : la face A, dite "face blanche" est quasi essentiellement composée par Brian May (si l’on excepte un titre de Roger Taylor) ; la face B, dite "face noire" est intégralement l’œuvre de Freddie Mercury.

La contribution de Brian May, outre le majestueux instrumental "Procession", resplendit principalement sur les titres chantés par Freddie Mercury, à savoir "Father to Son" et l’extraordinaire "White Queen (As It Began)" dont la beauté symphonique illumine de grâce la première partie de l’opus.

"Some Day One Day", le seul titre interprété par Brian May (et son premier exercice de chant sur vinyle) est plutôt niaiseux et "The Loser In The End" de Roger Taylor ne vaut sincèrement pas tripette.

En revanche, la face noire est intégralement phénoménale en ce sens qu’elle permet à Freddie Mercury d’inventer un nouveau genre musical (pour ne pas dire un nouveau genre d’expression artistique), à savoir le prog-hard-rock-arty-baroque et symphonique (pour faire simple).

Comme j’aime à l’écrire, ce qui est arrivé ici n’existait pas l’instant d’avant.

Et c’est ça qui a produit un sentiment de pure magie quand les petits rockers ont écouté Queen II pour la première fois. Ce fut une épiphanie.

La seconde face n’est pas "noire" par pur hasard. Elle incarne ce que Queen fera jamais de meilleur mais préfigure dans sa conception, dans son délire artistique et dans ses excès, ces tourments et désordres obscurs qui condamneront Freddie Mercury à écrire ensuite "Bohemian Rapsody" (le sombre testament opératique de ses jeunes années).

Entre féérie et désordre mental, romantisme ambigu et confrontation des "inconciliables", entre délicatesse et (beaucoup de) violence, la suite magique, enchaînée et déchaînée, "Ogre Battle", "The Fairy Feller’s Master-Stroke", "Nevermore" et "March Of The Black Queen" reste d’une qualité musicale à ce point parfaite et d’une intensité narrative à ce point tourmentée qu’elle ne sera jamais égalée (ni par Queen, ni par personne).

Il y aurait des pages et des pages à écrire pour évoquer les sources d’inspiration du compositeur qui multiplie les références à de nombreux styles artistiques. Il est par ailleurs curieux de relever autant de "citations" littéraires (parfois détournées) chez un prodige que personne, parmi ses proches, n’a jamais vu vraiment lire un livre.

Cependant, l’élément charnière de cette étrange pièce musicale n’est pas un livre, mais une peinture. Les lyrics de "The Fairy … " détaillent en effet une ahurissante œuvre éponyme du peintre anglais Richard Dadd (1817-1886). L’artiste n’est pas un personnage banal. Après avoir commis un parricide (3), il a été déclaré fou furieux et enfermé à perpétuité dans une prison psychiatrique. C’est dans sa cellule qu’il a imaginé, neuf années durant, cette fresque étrange au titre cryptique qui fait inévitablement penser à Hieronymus Bosch.

Le final de Queen II propose "Funny How Love Is", un titre "mercuryen" plus classique, et la version aboutie de "Seven Seas Of Rhye" dont le brouillon figurait sur Queen. C’est ce dernier titre qui sortira en single, provoquant des questions en cascade sur la signification de son texte (4).

L’album inspire à la presse des réactions contrastées (du blanc et du noir, pour rester dans la thématique). Entre les commentaires élogieux et les considérations acides ("une monstruosité surproduite"), il n’y a pas de place pour l’indifférence.

Mercury, qui adore le désordre médiatique (pourvu que la presse parle du groupe), se réjouit des louanges comme il s’amuse des commentaires caustiques. Il est déjà occupé à ranger dans ses valises les extravagants costumes de scène que lui ont été confectionnés par Zandra Rhodes (5).

Où un virus retarde la couronnement

Alors que Queen s’apprête à décoller pour les USA afin de défendre fièrement son deuxième opus, Brian Harold May s’effondre soudainement, frappé par un virus hépatique qui aggrave aussitôt l’ulcère qu’il traîne depuis l’enfance. A opérer d’urgence…

L’avion s’envole sans le groupe. L’histoire patine. L’horloge s’arrête (au pire moment).

Momentanément...


(1) La fameuse Académie des Petits Rockers.

(2) RTB avait signé pour quatre albums. Il produira Queen (1973), Queen II (1974), Sheer Heart Attack (1974) et A Night At The Opera (1975) avant de reprendre sa liberté et de filer aux USA. Dans la foulée, Queen s’inspirera de son travail pour produire "à l’identique" A Day At The Races (1976). Baker reviendra ensuite pour opérer sur le médiocrement inspiré Jazz (1978).

(3) Richard Dadd a tranché la gorge de son père. Ce geste résonne avec le fameux "Mama, Just killed a man… ", à ceci près que, dans "Bohemian Rapsody", l’homme mort est l’auteur du texte et qu’il y est question d’une arme à feu plutôt que d’un couteau.

(4) Rhye est en réalité un monde imaginaire, bordé en l’occurrence par sept mers, qui avait été inventé par Freddie et sa sœur Kashmira Cooke pour meubler leurs rêveries enfantines à Zanzibar. Le chanteur évoquera de nouveau cet endroit magique dans "Lily Of The Valley" sur Sheer Heart Attack.

(5) Zandra Rhodes habillait déjà Marc Bolan et allait bientôt avoir Lady Diana comme cliente…



 

Commentaires
Sébastien , le 23/03/2024 à 15:06
Encore un point sur lequel je vous rejoins, Daniel.
DanielAR, le 20/03/2024 à 13:38
Et n'oublions jamais que les discussions rock doivent toujours être un peu épicées d'une petite dose de mauvaise foi afin de rendre l'affaire plus légère et plus amusante...
NicolasAR, le 20/03/2024 à 09:27
Après il y a aussi des groupes qui ont sorti leur meilleur album dès le premier essai. Pour rester dans l'époque : Guns N' Roses, Mudhoney ou Pearl Jam par exemple... Mais il y en a plein d'autres. Après on est d'accord pour Nirvana et AIC (et donc Nevermind et Dirt).
Sébastien , le 19/03/2024 à 21:09
Oui, vu de cette façon, je vous rejoins totalement : le premier album d'Alice in Chains a été un succès. Je ne faisais que commenter la phrase : "Ils sont rares les groupes qui ont réussi le prodige de sortir un meilleur album dès leur deuxième essai". J'estime en effet que Nirvana comme Alice in Chains sont des groupes majeurs qui ont sorti leur meilleur album au deuxième essai. Merci des réponses en tout cas. Ça fait plaisir de parler de ces artistes.
NicolasAR, le 19/03/2024 à 08:45
M'étant penché sur la question dernièrement, je confirme ce que dit Daniel : Facelift est considéré comme un grand succès. Le disque s'est vendu à pas loin de 4 millions d'exemplaires, très majoritairement avant le phénomène Nevermind. A l'époque à Seattle, c'était du jamais vu - exception faite de Queensrÿche mais ça reste un cas de niche. Même Heart n'avait pas vendu autant de disques. Et côté grunge, même tableau : Mother Love Bone a fait un flop - bon, la mort d'Andy Wood n'a pas aidé -, Soundgarden se contente à l'époque de quelques centaines de milliers d'albums pour Louder Than Love, et pour Bleach, 30 à 40.000 disques, pas plus (ce sera beaucoup plus après Nevermind). Ce qui d'ailleurs bat en brèche l'idée que le "grunge" a commencé avec Nevermind : c'est faux. "Man in the Box" tournait en heavy rotation sur MTV bien avant "Smells Like Teen Spirit" et a permis aux projecteurs de se braquer sur Seattle bien avant ça - sans parler de la hype engendrée par le Melody Maker début 1989 après l'article d'Everett True. Donc voilà, le premier groupe successful de Seattle, ce n'est pas Nirvana, ce n'est même pas Pearl Jam, c'est Alice...
DanielAR, le 18/03/2024 à 08:01
Un peu moins d'accord au sujet d'Alice In Chains. Le premier album a été loin d'être un flop. Il a même connu un succès commercial immédiat et certain, permettant au groupe de se faire connaître et d'assurer sur un deuxième opus remarquable. Le premier album de Queen a été un flop et c'est le succès ultérieur du groupe qui a permis à cet album mal né d'afficher aujourd'hui des chiffres de vente assez trompeurs. Mais, je suis d'accord, sur le fait que ça reste une question d'interprétation. Et c'est ça qui est chouette...
Sebastien, le 16/03/2024 à 18:22
Nirvana oui, voire même Alice in Chains.
DanielAR, le 10/03/2024 à 18:30
Style Nirvana ?
Sébastien , le 09/03/2024 à 18:43
Seulement Queen ? N'oublions pas un petit groupe de Seattle du début des années 90...