Anekdoten

Avec Gravity, le groupe originaire de Borlänge avait progressivement lissé les aspérités de sa musique. Délaissant la violence de Nucleus et la noirceur de From Within, Anekdoten avait pris le parti d’explorer une voie moins sombre et tortueuse, s’attirant par là un certain nombre de critiques reprochant au groupe de s’égarer dans la légèreté. N’en déplaise à ces derniers, avec A Time of Day, les Suédois entérinent cette volonté d'évoluer dans un registre plus accessible et lumineux. Le groupe entend ainsi laisser percer les rayons du soleil pour réchauffer sa froide mélancolie, comme le suggère la superbe pochette de l’album où de sveltes et gracieuses silhouettes encapuchonnées avancent au cœur d'une forêt mystérieuse rappelant l'univers Tolkienien.

Reproduisant toujours avec autant d’aisance l’essence musicale des années 1970, mellotron en tête, mais avec également toute la panoplie des claviers de l’époque, Farfisa, Rhodes, Moog et autres Hammond, Anekdoten peaufine et parfait son style retro en y éjectant l’émotion et la chaleur qui pouvait jusqu’à présent lui faire défaut. Naviguant entre ballades boisées et mélodieuses et titres plus électriques faisant à la part belle à des riffs inspirés, Anekdoten mise cette fois sur des compositions variées conférant une tonalité rafraîchissante à l’album. Loin de la torpeur triste et froide des précédents titres d'ouverture, le groupe nous livre ainsi un "The Great Unknown" introductif particulièrement fougueux. Un voyage cosmique porté par un réel souffle épique, que viennent compléter de très belles sections de couplets en arpèges et la douceur d’une flûte virevoltante. Le chant de Nicklas Barker semble de ce point de vue plus sûr et expressif, presque habité sur le sublime "30 Pieces" et sa claquante ligne de basse saturée rebondissant sur des nappes d'orgue en apesanteur. Le pont du morceau est franchement jouissif avec un riff détonant qui amorce un final gorgé d’émotion avec à nouveau une superbe partition de flûte. Le titre "In For A Ride" complète le tourbillon sonore délivré par le groupe sur les morceaux les plus rythmés avec une envolée finale enivrante à la résonance très crimsonienne.

Les autres titres de l’album épousent une ligne plus douce et apaisée teintée de ces allants pop irrésistibles qui font la part belle aux mélodies accrocheuses, avec un "King Oblivion" fort de ses arpèges scintillants et parsemé de très belles sonorités de guitares. On se laisse également subjuguer par "Stardust and Sand" et la douceur infinie de ses harmonies vocales mélancoliques dopée aux claviers analogiques qui apportent tout le grain des années 1970 sur les refrains, procurant de purs instants de beauté fragile. La pièce centrale de cet album est sans contestation "A Sky About to Rain", certainement le plus beau morceau jamais écrit par le groupe, somptueux de délicatesse avec son introduction acoustique débouchant sur le thème principal (au mellotron bien sûr) et un refrain captivant. Le moog est à l’honneur pour terminer sur une superbe montée en puissance qui trouve son prolongement et sa conclusion dans le titre suivant "Every Step I Take". Un album splendide également magnifié par sa conclusion poétique, "Prince of The Ocean" et ses harmonies vocales limpides accompagnées par un violoncelle mélancolique à souhait.

Certes, A Time of Day ne gagnera pas le prix de l'originalité, Anekdoten se caractérisant par un grande cohérence (pour ne pas dire uniformité) dans ses compositions avec des références aux années 1970 toujours très présentes. En choisissant une voix plus lumineuse et accessible il s'éloigne néanmoins de son modèle initial, King Crimson, et délivre un superbe album qui ravira les mélomanes sensibles en quête de de vibrations old school. Ceux qui préfèrent le Anekdoten sombre et torturé y trouveront assurément moins leur compte mais ils pourront se replonger à leur guise dans les profondeurs étouffantes de la première période du groupe et en particulier dans From Within.