
Eiffel
Foule Monstre
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1- Place de mon coeur / 2- Le même train / 3- Chaos Of Myself / 4- Foule monstre / 5- Libre / 6- Frères ennemis / 7- Chanson trouée / 8- Milliardaire / Stuck Inside the Pussy / 9- Lust For Power / 10- Chamade / 11- Venus from Passiflore / 12- Puerta del angel / 13- Death's dance


On  les attendait forcément au tournant, eux les pestiférés qui s’étaient  fait dégager comme des malpropres de chez Virgin et qui ont pourtant  réussi, envers et contre tous, à récolter leur premier disque d’or chez  PIAS avec le solide A Tout Moment. Pour tout dire, on sentait que le  précédent album était un disque de survie et de résistance, Romain  Humeau s’étant retranché sur ses fondamentaux en un réflexe de  subsistance pour offrir une vision optimale, réfléchie et fignolée de  tout le savoir-faire Eiffel, tout en textes poétiques surréalistes,  tension exaltée et guitares au cordeau, et il est un fait que,  clairement, A Tout Moment n’avait pas le droit de se planter. Rassuré  par le succès public confortable de l’entreprise, les bordelais peuvent  désormais sortir leurs crocs et s’offrir un disque de contre-attaque,  tel un immense pied de nez à tous les magnats du music system qui  n’avaient pas cru en eux en 2007. Le résultat, c’est Foule Monstre, et ça a d'ores et déjà commencé à cartonner. A raison.
Avec  ce cinquième album, le constat est clair : Eiffel ne s’interdit plus  rien. Ni de blinder ses morceaux de textures synthétiques (parler  d’électro serait tout de même un peu exagéré), ni de partager le micro  avec de multiples invités (dont Phoebe Killdeer et le désormais habituel  Bertrand Cantat), ni même d’abandonner sporadiquement la langue de  Molière pour des refrains en anglais ou en espagnol. Tout ces éléments  auraient pu effrayer au plus haut point les fidèles de la première  heure, mais très clairement, "Place De Mon Coeur", premier extrait  dévoilé par la bande, a très vite balayé les appréhensions. Le titre est  à l’image de l’album : costaud, enflammé et impeccable de verve  mélodique. Si les guitares se font nettement moins entendre, si la  rythmique devient plus lourde et entêtante, si la texture du son se  densifie sensiblement, aucun sacrifice n’a en revanche été consenti sur  les airs ni les textes, au contraire : ici, Humeau n’a qu’à piocher  parmi ses plus belles trouvailles musicales, des bijoux de morceaux  pop-rock torturés juste ce qu’il faut, cinglants, prégnants, aux  envolées lyriques parfaitement calibrées. On pense à "Place De Mon  Coeur" mais surtout à un quatuor en haute altitude, "Le Même Train",  rengaine altière et textes ciselés avec beaucoup d’intelligence (et gros  single potentiel), "Chaos Of Myself", essai de refrain english plus que  convainquant et largement emballé par l’apport de la pugnace Phoebe  Killdeer qui bouscule le titre en un long épilogue des plus jouissifs,  "Libre", aussi sautillant qu’inoubliable dès la première écoute (quel  refrain, là encore), et bien sûr "Lust For Power", siège d’une joute  verbale de haute volée entre les potes Romain Humeau et Bertrand Cantat,  ce dernier ayant signé les répliques qu’il scande de sa propre main. Ce  passage de témoin entre les deux bordelais est d’autant plus symbolique  que désormais Noir Désir est définitivement hors service : il revient  donc aux seuls Eiffel de continuer leur combat pour la défense d’un rock  français littéral et littéraire, même si on sent que la plume de Humeau  se trouve passablement démangée par des tirades anglo-saxonnes qui  pourraient, pourquoi pas, ouvrir son univers bigarré à une foule bien  plus universelle. Mais nous n’en sommes encore pas là. 
Là  où Foule Monstre se démarque nettement de la moyenne, en dehors des  incontestables réussites ci-dessus, c’est dans l’intérêt constant que  ses autres morceaux suscitent. Dans ce registre, Eiffel a le choix des  armes, et tout d’abord le verbe illuminé de son maître à penser. C’est  un régal de se plonger dans les textes de "Chanson Trouée", d’étoiles  qui filent un mauvais coton en armes d’attraction massive, d’El Dorado  des méduses en Golgotha scrutant le monde par un judas, autant de  juxtapositions absconses que l’on se prend à rechercher avec fébrilité  tandis que le chanteur termine son ode dans des torrents de colère  déchirante. Plus loin, les emprunts espagnols irradient "Puerta Del  Angel" d’une chaude quiétude, tandis qu’à l’inverse le tempo assassin de  "Frères Ennemis" aère le coeur du disque en un tourbillon punk  revigorant. Et peu importe les arrangements : si de simples arpèges  acoustiques suffisent à accompagner le très joli "Milliardaire", la  bande n’hésite pas à tenter des expériences osées mais assez  saisissantes, comme cette alliance entre sifflotements, beats, scratchs  et nappes de violons qui respirent pourtant l’évidence sur "Foule  Monstre". Même son de cloche avec les beats, les envolées de cordes et  le piano sibyllin de "Venus From Passiflore", retranchant une certaine  dose de noirceur à cet hymne baudelairien des plus romantiques. On  gardera néanmoins une petite réserve sur ces nouveaux accompagnements  qui se font parfois envahissants, comme sur "Chamade" qui aurait  certainement gagné à se trouver sérieusement allégé en claviers.
A  ceux qui hurleront au scandale face à cette version synthétique et  passablement plus grand public d’Eiffel, on rétorquera qu’un deuxième  coup d’oreille leur serait certainement profitable. Peu importe la forme  que l’on donne à un morceau, peu importe l’intention qui l’anime (et  dans le cas présent on ne saurait nier une certaine volonté de séduction  des masses), ce qui importe et qui importera toujours, c’est la qualité  du songwriting, la richesse et la profondeur des textes, le sens de la  mélodie, l’esprit de la composition. Avec Foule Monstre, Eiffel, malgré  son lifting dans l’air du temps, réalise un album de très haute tenue à côté duquel il serait dommage de passer, car que  les choses soient bien claires : si l’on pensait que le rock  francophone était mort avec le trépas de Noir Désir, on n’a jamais été  aussi loin du compte. Au fait, Eiffel est en tournée en ce moment dans  l’hexagone : vous savez ce qu’il vous reste à faire pour terminer  l’année 2012 en beauté.

























