
Arcade Fire
The Suburbs
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1- The Suburbs / 2- Ready To Start / 3- Modern Man / 4- Rococo / 5- Empty Room / 6- City With No Children / 7- Half Light I / 8- Half Light II (No Celebration) / 9- Suburban War / 10- Month Of May / 11- Wasted Hours / 12- Deep Blue / 13- We Used To Wait / 14- Sprawl I (Flatland) / 15- Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) / 16- The Suburbs (Continued)


Autant le préciser d'emblée : à la rédaction, il n'y a pratiquement plus aucun fan d'Arcade Fire. A tel point que lorsque The Suburbs  est sorti, tout le monde s'est mis à regarder les autres en chien de  faïence en espérant que quelqu'un se dévoue pour se lancer dans  l'affaire. Voici donc sous quel angle il faut voir cet article : sous  celui d'un quidam complètement indifféré par les deux premiers albums  des canadiens, qui a été happé insidieusement par quelques titres  surprenants révélés en avant première, et qui a espéré que ce changement  de trajectoire collerait mieux à ses goûts musicaux. Bingo.
Pour illustrer ce postulat, n'hésitons pas à avancer quelques pensées un rien iconoclastes. D'un point de vue critique, Funeral est  probablement l'une des plus grosses fumisteries de la dernière  décennie. On ne va quand même pas nous faire avaler qu'un excès de  lyrisme amplifié par une avalanche de violons, d'accordéons et de piano  puisse faire office de "plus grand album de rock indie de tous les temps",  sans compter qu'il faut avoir un sacré courage pour s'y farcir la voix  criarde (et quasi-hystérique par endroits) de Win Butler. Bien sûr, on  ne pourra nier au disque certaines qualités : richesse des textures et  des ambiances, profondeur des textes, multiples niveaux d'écoutes.  Malgré tout, Funeral demeure déglingué et atypique, en tout cas  trop atypique pour qu'on ne puisse s'empêcher de rester interloqué  devant les éloges unanimes qui ont accueilli le disque. Quand on en  vient à aborder le cas de Neon Bible, c'est pire encore : nimbé  dans ses couleurs froides et caverneuses, l'album éprouve les pires  difficultés à susciter l'émotion, et seuls les plus persévérants  (acharnés ?) auront réussi à en extraire de quoi se repaître  convenablement. Pourtant le talent est là, indéniablement. On était donc  curieux, à défaut d'être impatients, d'observer dans quelle direction  Arcade Fire allait orienter ses allants créatifs pour ce troisième opus.  Alors, The Suburbs, album de la maturité ? Sans aucun doute.
Dès  les premières minutes d'écoute, on ne peut s'empêcher de remarquer que  quelque chose a profondément changé au royaume des canadiens. "The  Suburbs" est la parfaite illustration de ce constat : la mélodie y est  sereine, le chant de Win Butler s'est considérablement adouci et affiné,  et les arrangements instrumentaux se réorganisent autour du sacro-saint  trio guitare - basse - batterie (avec ici un piano solaire en toile de  fond). Plus simple, plus direct, The Suburbs, à l'inverse de ses  deux prédécesseurs, séduit instantanément par la chaleur et l'allant de  ses airs, et nous entraine habilement dans un voyage construit comme un  road trip temporel naviguant entre présent évanescent et passé  insaisissable. Deuxième surprise : l'album se révèle étonnamment varié,  balayant en près d'une heure un éventail particulièrement vaste de sons  et d'influences allant des chantres disco suédois ("Sprawl II (Mountains  Beyond Mountains)" emmené par une Régine Chassagne flirtant avec un  ABBA contrarié) au souffre dévastateur du rock sous influence des Queens  Of The Stone Age (avec un "Month Of May" qui fait un net appel du pied à  un certain "Medication"). Entre les deux, Arcade Fire flirte avec une  coldwave maladive et crépusculaire ("Ready To Start"), développe une  valse à quatre temps transpercée par de curieux éclairs dissonants  ("Rococo"), enclenche l'accélérateur des guitares sous l'effet d'une  tornade de violons ("Empty Room") ou encore se laisse transporter par  une ligne de basse entêtante dans son omniprésence ("Half Light I"). 
Mais  derrière l'apparente simplicité du disque se cache, une fois de plus,  cette profondeur, cette lecture à étages qui apporte à chaque écoute un  petit supplément d'âme, sans même compter sur quelques trucs basiques  mais redoutablement efficaces qui emportent instantanément l'adhésion  (comme le curieux décalage rythmique qui caractérise "Modern Man"). Les  morceaux de The Suburbs s'avèrent bien plus complexes qu'ils n'y  paraissent, et certains d'entre eux se révèlent sur la durée d'une  richesse tout bonnement stupéfiante (comme le superbe "Suburban Wars",  merveille de progression mélodique). D'ailleurs, la deuxième partie de  l'album, moins tape à l'œil que la première, est encore meilleure par  son traitement sec et dépouillé qui offre un écrin idéal à des balades  douces-amères plus tranquilles. Orgue indolent et guitare acoustique  claquée avec pudeur ("Wasted Hours") ou en ménageant des envolées  mystiques poignantes ("Deep Blue"), piano fouetté par des giclées de  cordes électriques et des baffes cinglantes de percussions ("We Used To  Wait"), rien n'ébranle la sérénité du chant de Win Butler, organe  omniprésent qui supplante désormais celui de sa compagne Régine  Chassagne derrière le micro en ne lui laissant que quelques chœurs et trois petits morceaux en guise de consolation. Arcade Fire a évolué,  mûri, et tant pis si la part masculine du groupe l'emporte désormais sur  son versant féminin.
On en resterait là que l'album s'avèrerait  déjà d'excellent tenue, mais il y a plus. Impossible de ne pas attirer  votre attention sur les magnifiques textes qui font de The Suburbs  une ode pleine de nostalgie et de désenchantement. En nous invitant à  revisiter, plusieurs dizaines d'années plus tard, les banlieues de leur  enfance, les canadiens pointent du doigt un monde éternellement  éphémère, coincé entre un présent désincarné que l'on ne parvient plus à  comprendre (l'homme moderne qui marche dans le rang sans prendre le  temps de vivre de "Modern Man", les jeunes au langage incompréhensible  et bariolé de "Rococo") et un passé définitivement révolu qui s'évapore  au fil des années (les rues et les immeubles déplacés et déstructurés de  "The Suburbs", les amis disparus de "Suburban War"). Aucun espoir ne  nous est offert face à cette frénésie du temps qui s'écoule et qui nous  emporte imperturbablement vers la mort. Peut-être n'y a-t-il plus qu'à  s'approprier cette horloge implaccable, à laisser filer ses souvenirs et  à s'abandonner dans la contemplation des sens à la recherche du temps  perdu (lancinance du vide dans "Empty Room", jeux de lumières rendant la  réalité versatile et fantasmatique dans "Half Light"). 
Tout le talent d'Arcade Fire est de ne pas sombrer dans le nombrilisme et le  désespoir, et au contraire de nous inviter à prendre un petit temps de  pause et de réflexion au travers de ce très bel album, drapé dans ses  superbes mélodies arrangées avec beaucoup de classe et de retenue. The Suburbs  est une réussite incontestable, malgré un petit ventre mou calé entre  "City With No Children" et les deux "Half Light" qui ternit un ensemble  par ailleurs proche du sans faute. Voilà un album qui réconciliera tous  ceux qui avaient été profondément révulsés par les allants baroques  excessifs des Montréalais, mais qui risque également de décevoir les  authentiques fans de la formation. Vous n'avez plus qu'à choisir votre  camp... mais quelle qu'en soit la composition, il est probable que la  collection d'amateurs de l'arcade enflammée entame une progression  irrésistible grâce à ce coup d'éclat aussi simple qu'universel. CQFD, en  quelque sorte.























