
Baroness
Yellow and Green
Produit par John Congleton
1- Yellow Theme / 2- Take My Bones Away / 3- March to the Sea / 4- Little Things / 5- Twinkler / 6- Cocainium / 7- Back Where I Belong / 8- Sea Lungs / 9- Eula / 1- Green Theme / 2- Board Up the House / 3- Mtns. (The Crown & Anchor) / 4- Foolsong / 5- Collapse / 6- Psalms Alive / 7- Stretchmarker / 8- The Line Between / 9- If I Forget Thee, Lowcountry


L’année  2012 est déjà à moitié achevée, et on peut déjà tirer le même constat  que l’an passé : en terme de rock, on s’ennuie sec. Pas d’emballement  médiatique, pas de tendances, pas de modes ni de sonorités un tant soit  peu nouvelles ou originales. On en vient même à se demander si l’avenir  du rock ne doit pas être envisagé à l’aune d’influences extérieures...  quoi que. Le mariage pop-rock semble déjà avoir montré ses limites  stylistiques, et des métissages avec l’électro, avec le hip hop ou même,  plus récemment, avec le dubstep (cf Korn ou, prochainement, Muse) ont  déjà été tentés sans créer la révolution escomptée. Mais peut-être ne  faut-il pas chercher aussi loin : alors que le rock se recroqueville  dans un attentisme paresseux, ses cousins germains, le metal et ses  succédanés, affichent une santé insolente et peuvent ainsi tenter de  récupérer en toute impunité les bonnes âmes égarées sur les routes  désolantes du mainstream. C’était déjà le cas au début des années 90  avec le grunge, entité métamorphe mais invariablement grande  utilisatrice de grosses guitares, cela pourrait le devenir prochainement  avec le sludge.
Loin  de nous l’idée de rattacher ces deux genres l’un à l’autre ou de  décréter que Savannah serait devenue la nouvelle Seattle, mais force est  de constater que des similitudes troublantes entre les deux courants  existent, la plus évidente étant l’alliance d’un son opulent et de  vraies mélodies : là demeure la clé de ce qui nous occupe ici, avec un  dénominateur commun prépondérant que sont les Melvins. La vraie  différence entre grunge et sludge, c’est que le grunge s’est construit  en marge, voir même en opposition au metal, alors que le sludge s’est au  contraire calqué en totalité dans le moule métallique pour ensuite se  réorienter progressivement vers les masses. L’autre différence, bien  sûr, c’est le manque de relais ou d’emballement médiatique : là où  Nirvana, Pearl Jam, Alice In Chains ou Soundgarden inondaient les  ondes et faisaient l’unanimité dans la presse dans les 90’s, c’est à  peine si les médias généralistes, NME et consorts, appuient le phénomène  géorgien, même s’il est vrai que les indés, Pitchfork, Paste et Spin  principalement, accordent un peu plus d’importance au sludge qu’à  n’importe quel autre mouvement lambda. Mais encore une fois, pas de  succès sans un support accessible : en adoucissant leur chant sans  renier la férocité de leur accompagnement instrumental, les ténors du  metal sudiste sont en train de gagner des points sur les scènes du monde  entier. Kylesa avait montré la voie avec le plus tempéré et indie  Spiral Shadow, Mastodon avait enfoncé le clou avec un Hunter fantastique mais encore trop radical, et Torche a tout récemment marqué des points avec  le remarquable Harmonicraft. Quant à Black Tusk, les benjamins de  Savannah qui apparaissent encore passablement excités sur les bords, ils  en arriveront eux aussi à plus de douceur, c’est mathématique. Bref,  c’est désormais à Baroness de présenter son album calibré pour les  masses, et le moins qu’on puisse dire, c’est que le travail n’a pas été  fait à moitié.  
C’est  en effet à un double album que nous avons affaire, mais plus encore,  car avec Yellow & Green, John Baizley et sa bande ont pratiquement  tourné le dos en totalité au metal. Le peintre barbu a ainsi très  largement tempéré son chant terrien, et même si l’énergie vocale reste  de mise, il n’a que très peu l’occasion de forcer sur son organe. Autre  nouveauté majeure : les sonorités grasses du sludge ont presque  complètement disparu. Il persiste bien quelques passages assaisonnés  généreusement en décibels riches en graisse ("Take My Bones Away",  single simple et guerrier, l’enflammé "March To The Sea" et surtout le  refrain très stone de "Cocainium") mais en règle générale l’atmosphère  est à l’apaisement et à la prise de distance très claire avec les canons  métalliques. Yellow & Green apparaît donc non plus comme un disque de  metal ou même de sludge, mais tout simplement comme un disque de rock  alternatif. Un pari sacrément osé qui risque de mettre à dos tous les  amateurs de beuglements animaliers et de guitares maousse costaud. Pour  Baizley, autant carrément se tirer une balle dans le pied, à moins de  disposer de sérieux atouts dans sa manche. Le problème, en fait, se  situe là, car avec ce double album, Baroness a peut-être eu les yeux un  peu plus gros que le ventre.
Louer  une prise de risque pour elle-même ne rime à rien, de même que de  descendre en flèche tout grand écart vis-à-vis d’attentes générées par  un quelconque groupe. Non, en fin de compte, ce qui compte et qui  comptera toujours quand on s’attaque à un disque, c’est sa chair et son  goût, soit sa consistance et sa personnalité. Or malgré ses qualités,  Yellow & Green pêche sur les deux tableaux. Quant on s’attaque au gras  du disque, on prend acte d’une réorientation radicale du style de  Baroness : là où Baizley empilait les idées musicales par tonneaux sur  ses précédentes compositions, parfois de façon frustrante car sans leur  laisser le loisir de se développer,  le double jaune et vert aère  sensiblement le discours et se met en tête de pousser le moindre  balbutiement mélodique dans ses derniers retranchements. Chaque chanson  exploite donc un couplet, un refrain, un pont, mais guère plus. Soit, il  n’y a là en soi rien de répréhensible, mais à bien y réfléchir, le  barbu a réuni la même somme de matériel que sur ses précédents opus, et  plutôt que d’exploiter les meilleures idées et d’écarter les moins  bonnes tout en resserrant le propos sur un disque, il s’est mis en tête  de garder la totalité de son travail et d’étaler le résultat sur deux  galettes. Sauf que le double album, exercice difficile s’il en est, pose  souvent un problème de tempo si la consistance des morceaux ne s’avère  pas rigoureusement irréprochable, et c’est ce qui se passe ici. Si  l’album jaune se déroule impeccablement jusqu’à "Cocainum" (avec au  passage de jolis motifs d’arpège sur "Little Things" et une ambiance  caniculaire parfaitement troussée sur "Twinkler"), le disque commence à  s’enliser avec un "Back Where I Belong" mollasson que le robuste "Sea  Lungs" a bien du mal à extirper de son marasme. Hélas, le mal est fait,  car si "Eula" exploite à fond le psychédélisme floral musclé, le titre  ne parvient pas à redonner le coup de fouet que le projet aurait mérité.  Le morceau aurait sans nul doute trouvé une place de choix en  conclusion du Green Album, c’est sûr, mais à cet endroit précis, ça  coince. Problème encore plus présent avec le disque vert qui offre trop  de moments de flottement : pour un "Mtns (The Crow & Anchor)" au  poil, combien de "Foolsong" et autres "Collapse" anesthésiés ? Qu’on ne  s’y méprenne pas : chaque morceau pris séparément tient largement la  route, mais le tout mis bout à bout n’offre pas le résultat escompté...  même si des titres comme "Psalms Alive" ou "Strechmarker" relèvent la  densité de l’ensemble. 
Peut-être que Baizley n’aurait pas dû autant se priver de son arsenal de destruction massive et vouloir à ce point "ne pas faire de metal",  comme s’il s’agissait d’une honte mal placée. Car oui, ce qu’on aime  avec Baroness, ce n’est pas forcément ses sonorités sludges en tant que  telles, mais l’alternance entre riffs obèses et ambiances plus délicates  et travaillées. Le son gras, c’est plus un signe distinctif régional,  mais ce n’est pas forcément la caractéristique en laquelle réside  l’intérêt que l’on pourrait porter à un Mastodon ou à un Torche, par  exemple... et en fin de compte, seul Kylesa forge pleinement l’essentiel  de son pouvoir attractif sur la densité de ses guitares. Baroness,  quant à lui, excelle dans la mise en opposition de ses multiples  textures. Pourtant, en soumettant ses six cordes à un régime draconien,  le groupe se prive d’une bonne partie de son charme et de sa  personnalité. Améliorer le chant, supprimer les gueulantes, affiner les  choeurs et les harmonies afin de rendre la formation plus accessible,  oui et mille fois oui, d’ailleurs le résultat s’avère ici bien  convainquant même si le barbu de Savannah devra encore progresser sur ce  point. Mais pourquoi risquer de perdre l’âme géorgienne au profit d’un  son beaucoup plus impersonnel et passe partout ? D’ailleurs ça ne rate  pas : comment ne pas penser à l’"Assassin" de Muse sur "Sea Lungs", aux  bangs massifs d’Amplifier sur "Board Up The House" ou aux progressions  mélodiques très typées Cave In (période Antenna) sur "The Line Between" ? C'est dommage, surtout quand on sait que Josh Homme a déjà amplement démontré qu'il était possible de conserver un gros son (celui du stoner rock) et d'y adjoindre une matrice pop pour un résultat aux petits oignons avec les redoutables Queens of the Stone Age. Les natifs de Savannah comprendront-ils un jour le message ?
Voilà,  Yellow & Green aurait pu être l’album de l’année, mais il n’en est  rien. Non dénué de qualités, cet ambitieux projet clairement orienté  grand public pêche par excès de confiance et manque de discernement sur  la marche à suivre. Si le Blue Record se plantait dans la densité  excessive et l’éclatement de ses compositions à tiroir, ce double album  commet l’erreur exactement opposée en tournant le dos aux spécificités  du groupe sans proposer pour autant une matière absolument  irréprochable. Le fait est donc que le sludge se cherche encore son  Nevermind, et il est clair que Baroness ne l’a pas trouvé. En attendant  un quatrième essai qui promet d’être encore bien différent de ses  prédécesseurs, nos oreilles scruteront avec intérêt les prochaines  pérégrinations de Kylesa dont le cinquième album arrivera à l’horizon  2013. Le salut du rock viendra-t-il de Géorgie ? On peut se (com)plaire à  le croire, mais à ce jour, voilà un fantasme qui reste encore à démontrer.
























