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Guru Guru
Känguru
Produit par

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Doté d’une pochette incarnant tout l’esprit du Krautrock (le côté décalé et le goût pour les jeux de mots), Känguru avait tout pour devenir un album culte et finalement, l’une des productions les plus représentatives de la scène. À la veille de signer son troisième opus, le groupe intègre l’écurie Brain Records et surtout, intègre Conny Plank à son trio (devenu quatuor, cqfd) qui s’empare de la guitare et des claviers, mais également de la production. L’homme de l’ombre du Krautrock (et même au-delà) parvient ainsi à sublimer Guru Guru dont le potentiel attendait jusqu’alors d’être pleinement actualisé, au prix peut-être d’une approche plus rock, donc plus accessible (attention à vos oreilles tout de même).
Reste une économie interne assez classique des albums du combo, avec quatre pistes toujours aussi longues, faisant toutes au moins dix minutes ("Immer lustig" atteint même le quart d’heure) et déployant de longues phases instrumentales qui laissent le temps à l’auditeur de planer en se perdant à travers les notes aléatoires du combo. L’improvisation demeure également centrale, même si elle est domptée par un cadre plus contraignant.
Parée d’une introduction militaire, "Immer lustig" est peut-être le titre le plus exemplaire de cette évolution. Il commence par développer un hard-rock circassien dont les riffs sont très peu expérimentaux, mais manifeste des variations bienvenues et une partie centrale flottante, bruitiste, Can-esque, où les lignes de guitare sont magistrales et où le travail sonore, à la fois organique et aquatique, est vraiment agréable. Nous retrouvons le laboratoire musical allemand dans toute sa splendeur, tout en étant accroché par les riffs électriques plus classiques.
Tout au long de l’album, Guru Guru louvoie avec talent. "Baby Cake Walk" opte radicalement pour le Heavy prog’ ou plutôt, pour le space-rock d’Hawkwind dans son versant le plus musclé, tout en laissant la place aux divagations guitaristiques. "Ooga Booga" revisite le rock’n’roll, et préfigure ainsi la direction empruntée sur l’opus suivant, mais bascule dans une musique quasi tribale où le chant incantatoire évoque à nouveau Can, puis reprend un registre complétement Heavy, avant une nouvelle transition vers le groove funky zappaien, pour culminer sur un final plus lourd mais mélodique. Enfin, l’excellent "Oxymoron" invente le blues cosmique et planant, dans une approche similaire à celle de Gong, avec des sons cristallins, notamment à la guitare, qui illustrent derechef l’évolution salutaire de la production (et du talent de Plank à la guitare, au jeu moins laborieux et plus construit).
Bien souvent, Känguru est considéré comme le meilleur album du groupe et à moins que vous ne soyez un puriste qui ne jure que par les élans émancipés (et émancipateurs) d’UFO, il y a fort à parier que vous soyez conquis par ce Krautrock subtil qui sait se montrer aguicheur au point de constituer une belle porte d’entrée dans cet univers expérimental.
À écouter : "Oxymoron", "Ooga Booga"