
Fever Ray
Fever Ray
Produit par
1- If I Had a Heart / 2- When I Grow Up / 3- Dry and Dusty / 4- Seven / 5- Triangle Walks / 6- Concrete Walls / 7- Now's the Only Time I Know / 8- I'm Not Done / 9- Keep the Streets Empty for Me / 10- Coconut


Il y a des albums qui, comme des films de David Lynch, habitent et plongent dans un intense sentiment d’inconfort pendant de nombreuses heures. Karin Dreijer Andersson, issue du duo The Knife, offre ici un disque irréel et étrange, loin des sonorités de son groupe. Habité par des congas et des synthés hypnotisants, l’album se déroule comme un rêve interminable où l’on n’arrive jamais à courir.
Fever Ray n’est pas un disque facile, son ambiance poisse et embourbe les pensées. "If I Had A Heart" farfouille dans les sombres recoins des bayous, rampe salement entre les roseaux pourris. Et pourtant une fascination envers le malsain s’installe, appuyée par un clip morbide empli de corps abandonnés et de masques mortuaires. La musique tournée vers le chaos a souvent été explorée par des groupes bruyants comme Sonic Youth ou Lou Reed. Ici, ce chaos semble calme et posé, comme une fin du monde proche et inéluctable. Fever Ray est un disque qui plonge dans l’expérience ultime de la transe. Il se rapproche du chamanisme, des gourous tapis dans l’ombre. Karin Dreijer Andersson semble implorer des divinités inconnues, entraînée dans une danse de la pluie interminable ("When I Grow Up", "I’m Not Done"). Quant aux paroles, tout aussi habitées, elles constituent des mini chef-d'oeuvres et rappellent les travaux de poètes torturés et mélancoliques à la Sylvia Plath ("When I Grow Up").
Le chant de Karin Dreijer Andersson fait trembler et coupe le souffle sur "Triangle Walks". Elle est parfois accompagnée de voix graves masculines qui donnent une profondeur effrayante. La comparaison avec Björk, bien que facile, peut pourtant paraître logique : même manière de chanter, même bruits électro. Et pourtant. Fever Ray paraît unique, avec un style inclassable, hésitant entre trip-hop, psychédélisme, ou "ambient". Une musique d’ambiance, certes, mais une ambiance où l’on n’aimerait pas s’attarder tous les jours. En ceci, l’album se rapproche de l’expérience suscitée par des disques comme The Marble Index de Nico : d’une beauté terrifiante dont on ne peut ni ne veut se détacher.
Fever Ray est un monstre fascinant, un monde où il faut oser rentrer. Une fois le disque terminé, un choix s’impose : le réécouter pour ne pas s’extirper de l’ambiance ; ou abandonner la pièce, sortir dehors et tenter de se changer les idées. Album hanté, la musique de Fever Ray plante ses griffes dans l’auditeur et s’accroche un long moment avant de lâcher prise.