Un album tous les six ans, c'est le rythme que tiennent les Allemands de
The Notwist depuis le 21e siècle. Bien que tous les membres du groupe s'escriment dans d'autres projets pour faire passer le temps, six ans c'est long. D'autant plus long lorsque l'on parle d'un groupe qui titille la grâce à chaque sortie, voire même qui la façonne. On se souvient avec émotion de ce mois de février 2002 et de la parution de
Neon Golden, excellence sonore et mélodique, la deutsche qualität de l'electronica mélancolique. Six ans après, donc,
The Devil, You + Me s'est rappelé à notre bon souvenir en se la jouant davantage atmosphérique avec une qualité (quasi-) égale à son grand frère. Encore six ans plus loin, les teutons crèvent donc notre hiver pluvieux avec une nouvelle éclaircie, la première signée chez le label ricain Sub Pop.
On est amené à supposer qu'en six ans, des musiciens de cette trempe ont le temps de penser à beaucoup de choses et l'album nouveau s'en ressent nécessairement. Fourre-tout galactique, Close To The Glass empile toutes les influences du groupe habillées par la nonchalance absente de Markus Acher. Si les gars ont encore poussé plus haut le curseur de l'expérimentation, c'est en tirant dans tous les sens et en abreuvant tous les genres. Ils passent ainsi en revue l'indie-rock avec "Kong", la folk ("Casino"), la house ("Signals"), le shoegaze ("7-Hour-Drive") ou encore l'electronica ("Into Another Tune") avec brio certes, mais aussi la cohérence d'un best-of avant l'heure. Qui plus est, la plupart de ces morceaux se perdent en longueur ou en répétition. Les mélodies, les compositions et les textures sont comme toujours soignées et savoureuses, mais les titres avancent mollement, sans jamais chercher à atteindre un but. C'est frappant sur un titre (néanmoins d'une beauté confondante) comme "Run Run Run" qui se perd dans un onirisme flou et des structures bancales avec un abattement criminel.
Des morceaux qui ne semblent aller nulle part certes. Cependant, lorsqu'on prend l'album dans sa globalité, il s'avère qu'ils illustrent la trajectoire d'un groupe qui n'a plus rien à prouver, ni même à donner. Les gars ne se surpasseront jamais et en sont conscients (on se demande encore si
Neon Golden sera surpassé un jour par quiconque). Plutôt que de courir après des chimères lointaines ou de s'auto-plagier,
The Notwist n'a rien de mieux à faire que d'expérimenter et de tourner en rond dans des standards de qualité à faire pâlir les trois quarts de la planète. Plus encore, cette posture un brin défaitiste est à prendre comme une symbolisation de l'abandon, presque du désespoir que le monde tend à leur inspirer. Car une fois de plus, ils pondent leur album le plus noir et le plus triste, servi par un regard désabusé et fataliste. Exit la mélancolie pudique de
Neon Golden, l'obscure magie noire de
The Devil, on évoque ici plutôt une méchante
frustration face à un monde retors, caractérisée notamment par un "Casino" qui sublime les banqueroutes individuelles. C'est en réalité ici que se trouvent les points communs qui rattachent tous les morceaux de
Close To The Glass, non pas dans l'esthétique mais dans la lente agonie qu'ils conduisent. Marmonnés par un Acher qui paraît de plus en plus distant, les mots et les émotions guident l'auditeur dans un dédale sans fin.
Que ce soit dans la lente supplique acoustique "Steppin' In" ou dans un hommage appuyé à Kevin Shields "7-Hour-Drive", le désenchantement injecte son doux poison dans les veines de cet album. C'est encore plus le cas, étrangement, dans ce qui ressemble à la pièce maîtresse de
Close To The Glass. Près de neuf minutes d'errements électroniques, sans un soupçon de voix, "Lineri" s'accroche aux mêmes boucles ad vitam, mais ses appels lointains semblent s'affadir avec le temps puis s'essoufflent pour de bon. Avec ce nouvel album,
The Notwist frappe sans complexe au cœur avec une bonne massue. Sombre et touchant, il nous place face à nos propres faiblesses tout en s'amusant avec nos cordes sensibles. De plus, ses nombreuses expérimentations soniques (du hi-tempo "Kong" aux cascades sonores d'un "Close To The Glass") ajoutent de la chair à un ensemble qui tend à se mettre à poil tout en signalant que les bonhommes continuent d'explorer leur propre sillon. Certes, son aspect foutraque ne sert pas à la cohérence d'ensemble, mais les titres pris individuellement ont tous une sacrée gueule. Comme tous les six ans.