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Last Train
III
Produit par Last Train
1- Home / 2- The Plan / 3- How Does It Feel ? / 4- All to Blame / 5- This Is Me Trying / 6- Revenge / 7- One by One / 8- You've Ruined Everything / 9- I Hate You
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Last Train n'a jamais été un mauvais groupe. Mais a-t-il déjà été vraiment bon ? Depuis ses débuts publics il y a dix ans (son histoire commence, elle, bien avant), le groupe du Grand Est a livré une proposition de fonctionnement pas courant, un concept de collectif artistique ciselé d’avant gardisme, de modernité et de maturité. Toujours soucieux de leurs paramétrages et de leur production, ces mecs se sont présentés au monde comme un groupe qu’on aurait pas cru sorti de la cuisse du Haut Rhin. Car les alsaciens ont déboulé sur scène de façon libre, conquérante, avec un son pas du tout Nos Régions Ont Du Talent. Dès le départ transpiraient chez eux des influences variées, notamment de pop rock à large spectre.
Mais où courent-ils comme ça ? On ne sait pas trop, mais pendant que le mystère plane, ce qu’on remarque c’est l’essence de leur rock franc, qui vient cueillir les gens (leur solide communauté de fans pour être exacte) par ses soubresauts, sa rage et sa jeune nostalgie. L’outfit sur scène est sombre d’ailleurs, et régulièrement en cuir. Via Weathering et The Big Picture, Last Train avait rugi un rock haut, que ce soit dans la résonance de la voix du chanteur ou dans les fréquences de guitares, pour un résultat assez épique. On décèle alors chez eux quelque chose de cow-boys pacifistes intellos du rock. D’où le cuir. Est-ce que tout le monde arrive à suivre ?
En tous cas les Last Train sont suivis (et aussi dans leurs détours) et repérés assez rapidement par les médias, et leurs prestations scéniques transcendantes enchantent les foules. Ils sont au départ quatre copains brillants, mais comme tous groupes de rock Last Train a du expérimenter. Dès leurs tout débuts au collège, ils s’essuieront/ s’essaieront à différentes salles, différents angles d’attaque, différentes façons de se produire (surtout de s’auto produire pour ne pas se pervertir, les mots sont forts mais la détermination de leur chanteur Jean-Noël l’est également) sans jamais s’éloigner du studio White Bat Records, leur donjon protecteur, un peu Gandalfien, campé par leur acolyte et producteur Rémi Getliffe.
Curieux, surtout, Last Train explore large les styles qu’il peut exploiter, même si le défi est parfois ardu. Pour preuve l’album symphonique sorti l’an dernier (les mecs n’arrêtent jamais) Original Motion Picture Soundtrack qui étanchera leur soif et passion cinéphiles. Mais (le voilà le "mais") parmi tout ça, on s’y perd un peu. Le groupe a beau être généreux en interviews, dans ses albums, dans ses concerts, il y a jusqu’alors dans leur musique un bout de cohérence manquant. On les admire, certes, mais c’est comme donner à contre coeur un 16 à une copie en sachant que l'élève pouvait faire mieux. La faute à trop d’application ? À un manque de recul, de confiance, de self-légitimité ? On veut (on exige !) du contenu dans un contenant. Du talent pour du sens.
Alors qu’espérer de III qui sort telle une fusée après son prédécesseur ? Dès l'intro on débarque dans une usine métallurgique avec un son industriel martelant. Un bruit de coeur battant sur fond de rappel symphonique (qui a dit Absolution de Muse ?), l’alarme est pincée et grandissante. Les fans de post-punk, post-rock frétillent, car niveau ambiance on est dans l’antichambre d’un groupe (stylé) à la Preoccupations. Puis toujours ce côté sourd, grave, piqueté de tambours battants avec "The Plan" aux godasses rock teenager Feeder-iennes qu’on aime voir dans les festivals… Cette tendance un peu fan boys (ils se revendiquent eux-mêmes "fans" de groupes) avait pu être amendable dans leurs précédents albums, mais ici le défrichage est fait. Le son est plus grave et la vision plus claire.
Mais pourquoi est-ce si réjouissant? "How Does It Feel? ", je vous le demande. Il semblerait que la lumière et le côté assis aient chassé la mélancolie cafardeuse du groupe. Hourra ! Vous vous souvenez de Parachute de Coldplay ? Eh bien on en est pas loin. Jean-Noël passe de la voix de falsetto à une voix grave, sans cet entre deux parfois trop nasillard du passé. Oui, on part sur une nouvelle version de Last Train. Et elle se révèle lénifiante, ample, assumée. Les batteurs se régalent avec la rythmie d’Antoine qui tire le titre en arrière afin que les chevaux ne soient pas totalement lâchés. On se dit que c’est déjà une bonne entrée en matière (on est sur de l’acier maintenant) mais le clou est enfoncé par le Rage Against The Machine, le stoner un peu funky "All To Blame". Soignez votre pont que je dis toujours, c’est chose faite à 2"47 avec un insert grungo-nineties susurré "Is there any hope, a hope for fools ?". N’en jetez plus.
Bien sûr que les alsaciens continuent de déverser la fonte, et le gonflant est donné avec "This Is Me Trying". Ici gros big up à We Were Promised Jetpacks (quel bonheur que Last Train aime ce groupe), formation écossaise aux pochettes de maisons, mais surtout qui a un sens de la tension mélodique inédit. Par des jeux de micro anxieux dans le vide (dans lesquels Jean Noël crie de loin), la finesse de la guitare tremblante envahit sans ennui les 5 minutes, pour se désintégrer dans un déluge final (il y a souvent un petit piano qui traine aussi). Ça faisait longtemps que les saintes terres des Hauts de France et de la Belgique n’avaient pas été évoquées, l’occasion de le faire avec "Revenge" qui a l’élégance de dEUS, groupe incontournable pour une bonne génération de nordistes (au moins), avec des accords majeurs optimistes qui relèvent à plusieurs reprises le titre. Mais balancez le merch !
Le single "One By One" ne fait pas redescendre l’enthousiasme général de l’album, toujours teinté de vengeance joyeuse. Car III part d'une revanche à prendre, après qu’un avis de première écoute ait conclu à un son "trop convenu". Une phobie pour Last Train qui s’est donc appliqué, avec succès, à s’affirmer. Reste une plage blanche "You’ve Ruined Everything" suivi du non moins agressif par son intitulé "I Hate You", et rien de belliqueux à l’intérieur. Par ce dernier titre, III ferme une cicatrice, en reprenant les quatre douces notes de piano de "Revenge" en écho. Plus besoin de sortir les crocs pour se faire entendre. L’ambiance est froide mais lumineuse, sans doute lié au fait que l’album ait été enregistré en hiver dans un château en Lozère (et donc pas du tout dans une usine).
Une longue chronique pour décrire un groupe et une trajectoire qui avait besoin de se positionner. Last Train n’a jamais été un mauvais groupe mais il est bien meilleur aujourd’hui. Les quatre copains sortent des murs d’une cour sur lesquels ils ont pu se cogner par le passé (abondance d’influences musicales, imprégnation non identifiable, désordres émotionnels parfois trop délayés) pour enfin se mouvoir au-dehors avec une plus grande sérénité. L’album III (de la maturité ! Ah non on sort pas les poncifs !) est accrocheur, dansant, tonitruant, maitrisé, sublime. Pas trop tôt, car on les en savait capables... Sans rancune, mais maintenant qu’on a découvert cette facette, continuez à bien assembler ce beau et grand puzzle. Et attendez-vous à avoir des nouveaux aficionados parmi vos fidèles...
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