Anekdoten

Pilier de la nouvelle école progressive scandinave qui émerge au tournant des années 1990, Anekdoten fait paraître 4 ans après From Within un album qui se situe dans sa continuité directe, tout en proposant un son plus policé et accessible. En effet, si Nucleus possédait une folie intérieure difficilement canalisable et From Within se faisait le réceptacle d'un son lourd et ténébreux, Gravity s'avère en effet moins impénétrable que ses prédécesseurs et propose une musique plus mélodique, acoustique et actuelle, malgré l'utilisation toujours intensive d'instruments très typés 70's comme l'orgue ou le mellotron.

Bien que certains passages atteignent toujours des paroxysmes de violence fiévreuse et tourmentée comme sur le titre éponyme, pièce maîtresse de l'album qui alterne passages délicats où se pose le chant fragile de Nicklas Barker et déflagrations sonores saturées, tout apparaît plus léger sur Gravity, le groupe semblant au contraire se dégager des lois d'une trop grande pesanteur. Le "Monolith" introductif apparaît ainsi paradoxalement plus vif et léger du fait d'une guitare nerveuse et d'une section rythmique plus agile servant des changements de thèmes fréquents. Dans le même sens, "Ricochet" bénéficie de refrains très accrocheurs, presque popisants (toutes proportions gardées) et de sonorités de farfisa qui permettent d'élargir la palette sonore du groupe avec une approche moins homogène que par le passé. Ces éléments contribuent définitivement à forger une personnalité nouvelle au groupe, éloignant le spectre d'une trop grande redondance. 

Certes, Aneldoten possède toujours une inclination ténébreuse et le thème de "What Shoud But Did Not Die" s'apparente à une lente marche funèbre, mais cette dernière se voit contrebalancée par une seconde partie plus lumineuse et entraînante entrecoupée de riffs syncopés. Si les parties instrumentales du groupe ne se sont jamais caractérisées par leur dimension légère et aérienne, "SW4" propose également des développements plus atmosphériques avec son duo de voix masculin-féminin, sa frappe de batterie lointaine, ses lignes de guitare toutes en réverbération et ses gouttes de piano en résonance. Enfin, le groupe compose deux titres qui rompent radicalement avec l'essence froide et sinistre qu'on lui prête habituellement. La ballade délicate "This War is Over" et l'onirique "The Games We Play", prouvent que la musique d'Anekdoten est capable d'expressions plus douces même si ces dernières ne sont pas encore complément abouties. Il faudra attendre le prochain album pour que cette dimension soit pleinement explorée et maîtrisée par le groupe. En attendant, "Seljak", à la fois sinueux et entraînant expose de belles montées en puissance pour clore ce quatrième très bon album du groupe suédois. 

Avec Gravity, Anekdoten explore une voie moins sombre et tortueuse, et ouvre peu à peu sa musique à des sonorités acoustiques qui atteindront leur plein potentiel sur l'album suivant, A Time of Day. Si pour certains observateurs, la période qui s'ouvre avec cet album s'avère finalement moins stimulante et plus lisse que les débuts du groupe, elle regorge selon nous de nombreuses qualités qui méritent d'être pleinement appréciées.