C'est deux ans après la sortie de
Pacific 231, que
Raphael revient sous sa catégorie en boxe,
Super Welter. Les nouvelles activités du brun ne lui ont pas taillé un corps à la Marcel Cerdan (ou alors ses T-shirts mal taillés cachent des surprises), mais il a clairement un revers musical érosif. Beaucoup classifient rapidement l'artiste, et pourtant il s'avère qu'il est difficile de lui coller une étiquette. Mis à part le thème de l'amour et de l'errance qui reviennent, musicalement il a le don de se renouveler à chaque album.
Hôtel de l'Univers et
La Réalité sont deux albums électriques, poétiques et déjantés,
Caravane plane dans un ambiance romantico-mélancolique pas du tout électrisé,
Je sais que la Terre est plate se dégustait sous une teinte plus exotique. Quant à
Pacific 231, on retrouve l'esprit des débuts du compositeur, avec de l'électrique et du détail musical fin. Face à tant d'ambiances différentes, on ne peut pas estampiller Raphael, et on ne peut pas l'anticiper.
Ceci se valide de nouveau pour
Super Welter dès le premier morceau sorti ''Manager'' et dès la parution du visuel de l'album. Qu'est ce que c'est que ce titre ? Qu'est ce que c'est que ce chien sur la pochette ? Qu'est ce que c'est que ce son ? Avant même de lancer l'album, on tient un objet particulier entre les mains. Un boîtier rouge opaque, un visuel de pochette en stickers collé dessus,
idem pour le tracklisting à l'arrière. Le livret est à découvrir également avec des dessins de Raphael, des pages dénuées de paroles et écrites à la main de façon presque illisible. On appréhende d'emblée ce
Super Welter différemment.
Et en effet, la première écoute est totalement déstabilisante. A chaque nouvelle piste, un petit choc. A chaque nouvelle sonorité, un petit sursaut. On avance avec prudence au fil des titres, le terrain est totalement inconnu et miné. Il faut peu de temps pour sentir que
Raphael est dans un nouvel esprit musical, dans une autre façon de voir et travailler le son. Le dernier album était déjà très emprunt de renouveau même s'il gardait l'esprit travaillé d'auparavant. Là tout est encore différent. ''Manager'', le premier morceau mis en écoute préparait à cette nouvelle patte musicale, mais l'album en entier est une réelle redécouverte de Raphael. Il va donc falloir effacer tout ce que
Raphael était avant
Pacific 231 pour aborder
Super Welter. Les points de repères sont éclatés et éparpillés, il faut un peu de temps pour tout remettre en place après cette explosion.
Après une journée ou deux sans écouter l'album, on revient dessus, et c'est à partir de là que l'on va commencer à apprécier les bizarreries de Super Welter. Le ''rock rock rock rock rock'n'roll'' irritant sur ''Mariachi Blues'' devient ce que l'on va attendre dans le morceau. Sa voix étrangement placée dans ''Peut être'' ne choque plus mais séduit. Finalement, le processus est le même que pour le premier single ''Manager'' qui perturbant à la première écoute, devient agréable puis rapidement addictif.
Finalement, c'est un album à différentes couches, différents rythmes, et chaque titre se découpe également. Des morceaux agressifs dans les arrangements : ''Mariachi Blues'' aux rythmes robotisés, l'angoissante ''Noire sérénade'', ou la métallique ''Collision'' qui offre plus d'une minute sur trois d'instrumental. La veste en cuir et le regard de biais paraissent alors indispensables, comme sur ''Déjà vu'', raisonnant.
Des poétiques, où l'on se retrouve avec le
Raphael déjà rencontré. Par exemple avec ''Asphalte'' dont les mots sont empruntés à Samuel Benchetrit, tout droit sortis de ses splendides ''Chroniques de l'asphalte''. A noter que les deux hommes ne sont pas étrangers l'un à l'autre, puisque Benchetrit a réalisé le clip de ''La petite misère'' (
Pacific 231), et c'est lui qui a soufflé l'idée du titre de l'album. Le thème de l'errance étrange revient sur ''Voyageur immobile''. Il y a aussi des morceaux plus vaporeux, comme écrit après un coup sur le ring : ''Insensible'' avec des sonorités asiatiques, ou encore ''Quand je t'aimais vraiment''. On croise aussi un essai vocal où
Raphael nous fait croire qu'il a la voix grave (''Peut-être). Étrange, ou
''bizarre'' comme il le répète.
On se demande un certain temps ce qu'il fait à chaque morceau, avant que ces derniers nous dressent et que nous les adoptions. Des mimiques parolières que l'on va reprendre, aux rythmes nouveaux qui nous reviennent en tête, ce nouvel album aux allures bashunguiennes ne s'écoute pas passivement. C'est encore le thème de l'amour qui prime comme il l'explique et l'assume, et pourtant il tape directement, n'est pas subtile mais franc. Les mots ne rentrent pas toujours dans les rythmes, certains sons sont rentre-dedans, ce qui est certainement l'une des raisons de ce sentiment de perturbation. Est-ce la touche Benjmain Lebeau (The Shoes) ?
Toujours est il qu'il faut du temps pour perdre cette drôle de sensation, ce ''que se passe-t-il'' interrogateur et dérangeant. Les morceaux passent et troublent, on n'est plus dans le confort que
Raphael avait l'habitude d'installer. De plus c'est un projet fait main qu'il nous présente. Les titres sont écrits à la main, les dessins de la pochette sont de lui, la photo de couverture également -il a remplacé le chien par une peluche lors de la prise. Il a même réalisé le premier clip, ''Manager''. Un album on ne peut plus imprégné de sa personne, un album qui lui tient peut être plus à cœur, un fait maison qui est obligé de le détacher de sa référence à Caravane qui le catégorise dans une patte qui finalement ne le définit pas. C'est un sixième album de sang et dans l'instant, d'un poids super welter.