King Creosote est un peu l'archétype du folkman écossais. Derrière sa dégaine de marin mal dégrossi, se cache une sensibilité à fleur de peau, servie par une voix très claire polie à la mélancolie plutôt qu'éclatée au whisky. Le bougre se fend d'ailleurs d'une grosse activité depuis près de quinze ans, produisant à intervalles réguliers avec plus ou moins de réussite selon les livraisons. Seulement tout a changé en 2011, en s'acoquinant avec Jon Hopkins, l'un des producteurs et compositeurs electro les plus hype et les plus talentueux de ces dernières années, Kenny Anderson est sortie de sa niche et de la plus belle des manières. Pendant un album et un EP, le tandem a produit une musique rare, une folktronica ultra réaliste, coloré en sepia et saupoudré de toute la brume des Highlands. Salué par delà le monde, leur association aura valu à notre barbu de se faire un nom et c'est avec un tout nouveau concept qu'il nous revient trois ans plus tard dans le sillon de ce From Scotland With Love.
En effet, si cet un album en est bien un, il a avant tout été écrit pour accompagner un documentaire qui sera présenté lors des prochains Jeux du Commonwealth. Un documentaire d'archives (réalisé par Virginia Health), dont la musique de
King Creosote sera avec les images l'unique trame narrative. Un sacré défi alors que l’Écosse va accueillir ces jeux quelques semaines avant un référendum décisif sur l'indépendance du pays. Bref, le type a la pression mais assure vouloir faire découvrir une facette plus authentique de sa terre natale, celle que les touristes négligent trop souvent. Si on a hâte de profiter de la seconde face de
From Scotland With Love, attelons-nous déjà à déguster la première comme il se doit. Car tout concept qu'il est, cet album est tracé dans la lignée de ceux de King Creosote. Tout l'arsenal réglementaire de la folk traditionnelle y passe (accordéons, violons, etc.) sans que jamais cela ne sonne désuet ou anachronique mais dans l'idée que ça renifle fort le haggis.
L'identité remarquable de la musique de Kenny Anderson demeure sa voix. Une voix haute et claire dans laquelle s'entend comme des fissures toutes les affres de la vie courante. Et dès le premier morceau, "Something To Believe In" il décide de nous coller les poils en maugréant si haut que toute sa vulnérabilité se retrouve à nu, d'emblée. Les deux pieds dans la tourbe il raconte des scènes de vie ordinaires et incarne des habitants pour porter son message, qu'il raconte l'amour d'un pêcheur dans "Cargill" ou la mort dans "Bluebell, Cockleshell 123" où le refrain est appuyé par un chœur de jeunes filles. S'il a beau simplement raconter ce que ses rétines voient, ou ce que sa mémoire imagine, la poésie siège à tout les étages. Cette poésie de l'humain, remplie de ses doutes et de ses imperfections, comme dans "For One Night Only" où il relate l'évasion des couples qui s'enivrent le weekend arrivant. Il traverse ainsi les thèmes qui seront ceux du film avec l’Écosse en toile de fond, voire en protagoniste principal. Notamment quand il évoque l'immigration dans un "Miserable Strangers" poignant et intime, nourri de respect et de chagrin.
From Scotland With Love est quelque part une version folk et atlantique des pérégrinations de Sufjan Stevens. À ceci près que contrairement à son cousin d'Amérique,
King Creosote se recentre automatiquement sur un seul genre, la folk. Là où Sufjan brassait toutes ses inspirations en décibel, Kenny n'offre que diverses déclinaisons de la même ambiance. Même s'il peint un tour d'horizon des différents rythmes de l’Écosse, de la chaleur des fêtes populaires de "Largs (long) à la lente course du vent de "Prairie Tale", le goût en bouche reste sensiblement le même. Ce qui compte au fond, c'est de sentir le tartan nous effleurer jusqu'au bout des ongles. Pas tant la prouesse dans la composition. Tout l'album joue sur l'idée de créer un ressenti, une proximité avec la multitude de caractères que propose
King Creosote et sur ce plan-là, le type a tout bon. Néanmoins, par sa nature un peu bâtarde,
From Scotland With Love ne semble jamais vouloir prendre de risque. Si l'album en tant que tel est de bonne facture, l'audace vient parfois à manquer, tant, comme une série de cartes postales, on a déjà l'impression d'avoir entendu tout ça plus tôt. La seule excpetion demeure l'instrumental "Crystal 8s" qui navigue entre arpèges aériens et violons dissonants, sans jamais vraiment marquer son empreinte dans nos oreilles.
On ne sait si le témoignage de l'artiste prévaut sur celui du citoyen, ou si les deux cohabitent en bonne entente. Ce qui est sur c'est que cet album raconte l'Histoire. À la manière d'un peintre ou d'un photographe, il a figé des impressions et les a passé à la mandoline pour un résultat sincère et beau. Sans révolutionner le genre, ni même sans le porter aux nues, From Scotland With Love excelle en revanche dans la transmission d'une douce idée de ce qu'est et de ce qu'a pu être l’Écosse. En résulte un album totalement à part dont l'ADN cinématique tend à sublimer le tout et à la fois parfaitement ordinaire dans sa structure purement musicale. Elle est cependant suffisamment jolie pour nous y redonner l'envie d'y revenir de temps à autres.